Sur la plume de Dabo
Va mon baiser, quitte le frêle gîte
Ton amour est trouvé, un bouleau te le tend,
La résine de l'été et la neige de l'hiver
ont pris garde.
Réné Char
Coups de cœur
Va mon baiser, quitte le frêle gîte
Ton amour est trouvé, un bouleau te le tend,
La résine de l'été et la neige de l'hiver
ont pris garde.
Réné Char
.. La poésie est comme le vent,
ou comme le feu, ou comme la mer.
Elle fait vibrer des arbres, des vêtements,
elle embrase des épis, des feuilles sèches,
elle berce dans sa houle
les objets qui dorment sur la plage ...
José Hierro
Écoute, comme une ombre
s’avancerait, la mer, l’inlassable
vol des vagues qui claquent
contre la terre, écoute
ce monde devenu monde, à force
de résonner parmi les ans. Ton enfance
est cette matière fossile, un vœu
du temps qui brûle à mesure.
Écoute, et l’oiseau fuira encore
brisant tes châteaux sur le sable
de cette côte de l’Atlantique
où tu vis s’en aller l’aube
et revenir par tant de marées.
Hélène Dorion
El viento es un caballo:
óyelo cómo corre
por el mar, por el cielo.
Le vent est un cheval :
écoute comme il court
à travers mer et ciel.
Quiere llevarme: escucha
cómo recorre el mundo
para llevarme lejos.
Pour m'emmener : écoute
comme il parcourt le monde
pour m'emmener au loin.
Escóndeme en tus brazos
por esta noche sola,
mientras la lluvia rompe
contra el mar y la tierra
su boca innumerable.
Cache-moi dans tes bras,
cette nuit solitaire,
tandis que la pluie blesse
à la mer, à la terre,
innombrable, sa bouche.
Escucha como el viento
me llama galopando
para llevarme lejos.
Entends comme le vent
m'appelle en galopant
pour m'emmener au loin.
Con tu frente en mi frente,
con tu boca en mi boca,
atados nuestros cuerpos
al amor que nos quema,
deja que el viento pase
sin que pueda llevarme.
Ton front contre mon front,
ta bouche sur ma bouche,
nos deux corps amarrés
à l'amour qui nous brûle,
laisse le vent passer,
qu'il ne m'emporte pas.
Deja que el viento corra
coronado de espuma,
que me llame y me busque
galopando en la sombra,
mientras yo, sumergido
bajo tus grandes ojos,
por esta noche sola
descansaré, amor mío.
Laisse courir le vent
d'écume couronné,
qu'il m'appelle et me cherche
en galopant dans l'ombre,
tandis que moi, plongé
au fond de tes grands yeux,
cette nuit solitaire,
mon amour je me reposerai.
Pablo Neruda
Jaime Moroldo Lira, Automne
15 modules de 30 x 30cm
acrylique sur papier et bois
Elle était belle, d’une beauté
qui n’empruntait rien aux détails,
particularité qui jouait un grand rôle dans l’impression qu’elle produisait.
Cette impression était durable,
mais impossible à analyser.
Elle avait de l’allure sans être grande,
de la grâce sans faire de gestes,
de la prestance sans la lourdeur.
Simple et svelte, souvent silencieuse,
on la remarquait cependant toujours avec un plaisir singulier
Henry James
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Paul Verlaine
Les arbres du Sud portent d'étranges fruits
du sang sur les branches
et il y a du sang sur les fruits
des cordes noires pendues dans un vent, sans bruit
des fruits humains qui se balancent dans les arbres simples
Les jardins du Sud si bien décorés
de bouches sanglantes
et d' yeux arrachés
le parfum des fleurs de magnolia
caché sous l'odeur des chairs calcinées
Voici les fruits murs pour les tangos
prêts pour la moisson
battus de pluie, brûlés de soleil
dont les arbres trop chargés rêvent
de se délester
Les arbres du Sud portent d'étranges fruits
strange fruit, strange fruit
Olivier Angèle
The time will come
when, with elation
you will greet yourself arriving
at your own door, in your own mirror
and each will smile at the other's welcome,
and say, sit here. Eat.
You will love again the stranger who was your self.
Give wine. Give bread. Give back your heart
to itself, to the stranger who has loved you
all your life, whom you ignored
for another, who knows you by heart.
Take down the love letters from the bookshelf,
the photographs, the desperate notes,
peel your own image from the mirror.
Sit. Feast on your life.
Derek Walcott
Le temps viendra
où, plein d'allégresse,
tu salueras ta propre venue
à ta propre porte, dans ton propre miroir,
et chacun sourira devant l'accueil de l'autre,
et dira : assieds-toi. Mange;
tu aimeras à nouveau l'étranger qu'était ton être.
Offre du vin. Offre du pain. Rends ton coeur
à ton coeur, à l'étranger qui t'a aimé
toute ta vie, que tu as ignoré,
pour un autre, qui te connaît par coeur.
Descends les lettres d'amour de l'étagère,
les photographies, les billets désespérés,
détache ta propre image du miroir.
Assieds-toi. Savoure ta vie.
Derek Walcott
I have a rendezvous with Death
At some disputed barricade,
When Spring comes back with rustling shade
And apple-blossoms fill the air
I have a rendezvous with Death
When Spring brings back blue days and fair.
J'ai un rendez-vous avec la Mort
Sur quelque barricade âprement disputée,
Quand le printemps revient avec son ombre frémissante
Et quand l'air est rempli des fleurs du pommier
J'ai un rendez-vous avec la Mort
Quand le printemps ramène les beaux jours bleus.
It may be he shall take my hand
And lead me into his dark land
And close my eyes and quench my breath
It may be I shall pass him still.
I have a rendezvous with Death
On some scarred slope of battered hill
When Spring comes round again this year
And the first meadow-flowers appear.
Il se peut qu'elle prenne ma main
Et me conduise dans son pays ténébreux
Et ferme mes yeux et éteigne mon souffle
Il se peut qu'elle passe encore sans m'atteindre.
J'ai un rendez-vous avec la Mort
Sur quelque pente d'une colline battue par les balles
Quand le printemps reparaît cette année
Et qu'apparaissent les premières fleurs des prairies.
God knows 'twere better to be deep
Pillowed in silk and scented down,
Where Love throbs out in blissful sleep,
Pulse nigh to pulse, and breath to breath,
Where hushed awakenings are dear
But I've a rendezvous with Death
At midnight in some flaming town,
When Spring trips north again this year,
And I to my pledged word am true,
I shall not fail that rendezvous.
Dieu sait qu'il vaudrait mieux être au profond
Des oreillers de soie et de duvet parfumé,
Où l'Amour palpite dans le plus délicieux sommeil,
Pouls contre pouls et souffle contre souffle,
Où les réveils apaisés sont doux.
Mais j'ai un rendez-vous avec la Mort
A minuit, dans quelque ville en flammes,
Quand le printemps revient vers le nord cette année,
Et je suis fidèle à ma parole,
Je ne manquerai pas à ce rendez-vous-là.
Alan Seeger