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Coups de cœur
Définir la poésie
Définir la poésie, on peut s’y amuser, mais on ne définit pas les sensations.
Quelle sensation ferait vivre le froid à celui qui ne l’a pas connu ? Et vivre est une sensation. La poésie aussi. On peut vivre en religion, vivre en affairisme, vivre en indifférence, vivre en ennui. On peut vivre en haine comme en amour.
Chacun trouve sa poésie comme il peut, comme les circonstances l’ont conduit à la trouver, mais on ne peut pas vivre sans poésie.
La poésie est ce qui permet de tenir. Je crois que, pour une part importante, le suicide témoigne de la perte en soi-même de la poésie.
Eugène Guillevic
Prête aux baisers résurrecteurs
Pauvre je ne peux pas vivre dans l’ignorance
Il me faut voir entendre et abuser
T’entendre nue et te voir nue
Pour abuser de tes caresses
Par bonheur ou par malheur
Je connais ton secret par cœur
Toutes les portes de ton empire
Celle des yeux celle des mains
Des seins et de ta bouche où chaque langue fond
ET la porte du temps ouverte entre tes jambes
La fleur des nuits d’été aux lèvres de la foudre
Au seuil du paysage où la fleur rit et pleure
Tout en gardant cette pâleur de perle morte
Tout en donnant ton cœur tout en ouvrant tes jambes
Tu es comme la mer tu berces les étoiles
Tu es le champ d’amour tu lies et tu sépares
Les amants et les fous
Tu es la faim le pain la soif l’ivresse haute
Et le dernier mariage entre rêve et vertu.
Paul Eluard
Chair des choses
Je possède, en mes doigts subtils, le sens du monde,
Car le toucher pénètre ainsi que fait la voix,
L'harmonie et le songe et la douleur profonde
Frémissent longuement sur le bout de mes doigts.
Je comprends mieux, en les frôlant, les choses belles,
Je partage leur vie intense en les touchant,
C'est alors que je sais ce qu'elles ont en elles
De noble, de très doux et de pareil au chant.
Car mes doigts ont connu la chair des poteries
La chair lisse du marbre aux féminins contours
Que la main qui les sait modeler a meurtries,
Et celle de la perle et celle du velours.
Ils ont connu la vie intime des fourrures,
Toison chaude et superbe où je plonge les mains !
Ils ont connu l'ardent secret des chevelures
Où se sont effeuillés des milliers de jasmins.
Et, pareils à ceux-là qui viennent des voyages
Mes doigts ont parcouru d'infinis horizons,
Ils ont éclairé, mieux que mes yeux, des visages
Et m'ont prophétisé d'obscures trahisons.
Ils ont connu la peau subtile de la femme,
Et ses frissons cruels et ses parfums sournois...
Chair des choses ! J'ai cru parfois étreindre une âme
Avec le frôlement prolongé de mes doigts...
Renée Vivien
Si dolce è l'tormento
Rien n’est nécessaire et rien n’est suffisant à la poésie
Rien n’est nécessaire et rien n’est suffisant à la poésie. J’entends que la parole quotidienne et les formes les plus banales deviennent poésie dans la bouche de tel poète tandis que les paroles et les formes réputées poétiques tomberont à plat dans l’écriture d’un autre. Quelle est cette chose de plus qui sera présente ici et fera défaut ailleurs ? Une couleur de la vie ? Une plénitude ? Une lumière ? Une pauvreté Tout cela et rien de tout cela. Peut-être un accord quelque part en nous, une déchirure inguérissable. Un dénouement, une soudaine et inavouable évidence. Une qualité de vigilance, un feu qui se consume, l’oubli.
Lorand Gaspar
Ravir les lieux
[...]
D’ici bouge la lumière. Regarde
le vide lourd sur l’épaule
éparpillé parmi les fenêtres.
Cherche ce que tu appelles, l’impossible
mosaïque silencieuse du voyage
et la lampe qu’on dirait brûlée
par le temps. Regarde seulement la pièce
où résonne ta vie. L’ombre jamais vue
visible maintenant, dans les yeux du soir.
[...]
Hélène Dorion
Toi qui troubles la paix
Toi qui troubles la paix des nonchalantes eaux, La paix des eaux d’argent, la paix des eaux glacées ; Toi dont la barque joue avec les gais ruisseaux Dans le frémissement des rames balancées,
Pêcheur, — vois-tu couchée, auprès des longs roseaux, La fiancée unique entre les fiancées ? Sa robe s’enfle au gré des brises insensées, Comme s’enfle la voile au mât des lourds vaisseaux.
Sa chevelure tremble, et je tremble comme elle ; Dis-moi, pêcheur ami, le nom de cette belle, Ce nom cent fois appris et cent fois répété ;
Dis-moi toute harmonie avec ce nom unique, Toute grâce mêlée à toute volupté, Toute la poésie et toute la musique.
Daniel Bernard
Landscape, stormy sky / Paysage, ciel orageux
Au fil de l'eau
(...)
Ce fut un baiser long comme une éternité
Qui tendit nos deux corps dans l'immobilité.
Elle se renversa, râlant sous ma caresse ;
Sa poitrine oppressée et dure de tendresse,
Haletait fortement avec de longs sanglots ;
Sa joue était brûlante et ses yeux demi-clos,
Et nos bouches, nos sens, nos soupirs se mêlèrent.
Puis, dans la nuit tranquille où la campagne dort,
Un cri d'amour monta, si terrible et si fort
Que des oiseaux dans l'ombre effarés s'envolèrent.
Les grenouilles, la caille, et les bruits et les voix
Se turent ; un silence énorme emplit l'espace.
Soudain, jetant aux vents sa lugubre menace,
Très loin derrière nous un chien hurla trois fois.
(...)
Guy de Maupassant