Mourir à soi, revenir autre
« Mourir à soi, revenir autre, il me semble que c’est justement,
l’expérience même de la poésie. »
André Frénaud, Notre inhabilité fatale
Coups de cœur
« Mourir à soi, revenir autre, il me semble que c’est justement,
l’expérience même de la poésie. »
André Frénaud, Notre inhabilité fatale
Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.
Robert Desnos
Je suis devenue amoureuse de toi, je t’ai dans la peau.
Je t’ai dans la gorge, convoitise tremblante !
Et la preuve, c’est que ce qui physiquement te ressemble me bouleverse.
Tes lèvres, tes mains. Je suis folle de tes lèvres, de tes mains,
tout à fait folle d’amour pour toi.
Peut-être pour d’autres n’es-tu pas beau
- mais tu combles en moi le besoin d’une surnaturelle harmonie -
tu es beau comme si tu étais mon enfant,
et personne n’a cette perfection, personne n’est aussi mélodieux,
aucune forme ne m’est aussi nécessaire.
Mireille Sorgue, Lettres à l’amant
Le poète est à la fois celui qui écrit des poèmes
et celui qui n’en écrit pas
le poète est celui qui secoue les chaînes
et celui qui s’en charge
le poète est celui qui croit
et celui qui ne peut croire
le poète est celui qui a menti
et celui à qui on a menti
le poète est celui qui mangeait dans la main
et celui qui a coupé les mains
le poète est celui qui s’en va
et celui qui ne peut s’en aller
Tadeusz Rozewicz
Ma pensée est une églantine
Eclose trop tôt en avril,
Moqueuse au moucheron subtil
Ma pensée est une églantine ;
Si parfois tremble son pistil
Sa corolle s’ouvre mutine.
Ma pensée est une églantine
Eclose trop tôt en avril.
Ma pensée est comme un chardon
Piquant sous les fleurs violettes,
Un peu rude au doux abandon
Ma pensée est comme un chardon ;
Tu viens le visiter, bourdon ?
Ma fleur plaît à beaucoup de bêtes.
Ma pensée est comme un chardon
Piquant sous les fleurs violettes.
Ma pensée est une insensée
Qui s’égare dans les roseaux
Aux chants des eaux et des oiseaux,
Ma pensée est une insensée.
Les roseaux font de verts réseaux,
Lotus sans tige sur les eaux
Ma pensée est une insensée
Qui s’égare dans les roseaux.
Ma pensée est l’âcre poison
Qu’on boit à la dernière fête
Couleur, parfum et trahison,
Ma pensée est l’âcre poison,
Fleur frêle, pourprée et coquette
Qu’on trouve à l’arrière-saison
Ma pensée est l’âcre poison
Qu’on boit à la dernière fête.
Ma pensée est un perce-neige
Qui pousse et rit malgré le froid
Sans souci d’heure ni d’endroit
Ma pensée est un perce-neige.
Si son terrain est bien étroit
La feuille morte le protège,
Ma pensée est un perce-neige
Qui pousse et rit malgré le froid.
Charles Cros, Le collier de griffes
Keith Jarrett: Piano, 1987
C’est l’humeur de l’humus
Qui donne aux pieds la fermeté
D’une marche longue
Sur des prairies cailloutées
L’humeur de l’humus
Harnache des lanternes
Du sommeil
D’un chemin sans raccourci
Sans possibles de bohême
Sans ailleurs ouverts :
Un chemin de frontières
La terre je la retourne
Je la foule je la désire
Je la cherche vers le haut
Je la chevauche
Les yeux aux savates
Et mon élan ailé
Pour les envols
Mes pieds ronds
Encourent l’éternité
Une vie de plomb
Alors que l’or
Ailleurs
Assure sa renommée
L’humus ami
A cette heure sauvage
Fait entrer la marche
Dans les constellations
Du sol
Pierre Bonnet
Il m’a dit : « Cette nuit, j’ai rêvé. J’avais ta chevelure autour de mon cou.
J’avais tes cheveux comme un collier noir autour de ma nuque et sur ma poitrine.
« Je les caressais, et c’étaient les miens ; et nous étions liés pour toujours ainsi,
par la même chevelure la bouche sur la bouche, ainsi que deux lauriers
n’ont souvent qu’une racine.
« Et peu à peu, il m’a semblé, tant nos membres étaient confondus,
que je devenais toi-même ou que tu entrais en moi comme mon songe. »
Quand il eut achevé, il mit doucement ses mains sur mes épaules,
et il me regarda d’un regard si tendre, que je baissai les yeux avec un frisson.
Pierre Louÿs
Que me conseillez-vous, mon cœur ?
Irai-je par devers la belle
Lui dire la peine mortelle
Que souffrez pour elle en douleur ?
Pour votre bien et son honneur,
C'est droit que votre conseil céle.
Que me conseillez-vous, mon cœur,
Irai-je par devers la belle ?
Si pleine la sais de douceur
Que trouverai merci en elle,
Tôt en aurez bonne nouvelle.
J'y vais, n'est-ce pour le meilleur ?
Que me conseillez-vous, mon cœur ?
Charles d'Orléans