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Coups de cœur
L'on verra s'arrêter le mobile du monde
L'on verra s'arrêter le mobile du monde,
Les étoiles marcher parmi le firmament,
Saturne infortuné luire bénignement,
Jupiter commander dedans le creux de l'onde.
L'on verra Mars paisible et la clarté féconde
Du Soleil s'obscurcir sans force et mouvement,
Vénus sans amitié, Stilbon sans changement,
Et la Lune en carré changer sa forme ronde,
Le feu sera pesant et légère la terre,
L'eau sera chaude et sèche et dans l'air qui l'enserre,
On verra les poissons voler et se nourrir,
Plutôt que mon amour, à vous seul destinée,
Se tourne en autre part, car pour vous je fus née,
Je ne vis que pour vous, pour vous je veux mourir.
Madeleine de l'Aubespine
Ce qui s'enfuit du monde
Ce qui s'enfuit du monde c'est la poésie.
La poésie n'est pas un genre littéraire, elle est l'expérience spirituelle de la vie, la plus haute densité de précision, l'intuition aveuglante que la vie la plus frêle est une vie sans fin.
Christian Bobin
L'amour en cage
Mon cœur s'est pris à tes épaules
Mon cœur s'est pris à tes yeux gris
Le soleil s'est éteint
Et la neige est tombée
J'ai eu froid sans mon cœur
Rends-le moi
Mon cœur tremblait dans tes mains calmes
Mon cœur tremblait contre le tien
Les oiseaux se sont tus
Et les fleurs ont pâli
J'ai si froid sans mon cœur, rends-le moi
Ne le mets pas dans une cage
Il va mourir comme l'amour
Laisse-moi courir les rues
Laisse-moi vivre au fil des jours
J'ai mis le bonheur à la porte
Et j'ai brisé tous ses anneaux
J'ai laissé les baisers
J'ai cassé les serments
Et j'enferme mon cœur avec moi
Demain, demain je serai seul
Dans le silence de ma vie
Me prendra le hasard
M'aimera qui voudra
Mais j'enferme mon cœur avec moi
Je serai libre dans ma cage
Je serai libre avec mon cœur
Et j'irai courir les rues
Les rues de rêve
Où vont mes amours
Boris Vian
Deux jeunes filles en fleurs
L'Amour et la Folie
Tout est mystère dans l'Amour,
Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance :
Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour
Que d'épuiser cette science.
Je ne prétends donc point tout expliquer ici :
Mon but est seulement de dire à ma manière
Comment l'aveugle que voici
(C'est un Dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière ;
Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien ;
J'en fais juge un amant, et ne décide rien.
La Folie et l'Amour jouaient un jour ensemble :
Celui-ci n'était pas encor privé des yeux.
Une dispute vint : l'Amour veut qu'on assemble
Là-dessus le conseil des dieux ;
L'autre n'eut pas la patience ;
Elle lui donne un coup si furieux,
Qu'il en perd la clarté des cieux.
Vénus en demande vengeance.
Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris :
Les Dieux en furent étourdis,
Et Jupiter, et Némésis,
Et les Juges d'Enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l'énormité du cas :
Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas :
Nulle peine n'était pour ce crime assez grande :
Le dommage devait être aussi réparé.
Quand on eut bien considéré
L'intérêt du Public, celui de la Partie,
Le résultat enfin de la suprême Cour
Fut de condamner la Folie
A servir de guide à l'Amour.
Jean de la Fontaine
Le désir
"Le désir, comme les phrases, mobilise des nuances qu'il ne cesse d'ajuster
entre elles. Les noms, les peaux, le grain des lumières, la saveur des baisers :
tout se précise et se conjugue."
Yannick Haenel, La solitude Caravage
Aime-moi
Aime-moi, non comme les nourrices rêveuses
Mes poumons tombants, ni comme le cyprès
Dans son âge l’argile de la jeune fille,
Aime-moi et soulève ton masque.
Aime-moi non comme les filles du paradis
Leurs amants aériens, ni comme la sirène
Ses amants de sel dans l’océan.
Aime-moi et soulève ton masque.
Aime-moi, non comme le pigeon ébouriffé
Les cimes des arbres, ni comme la légion
Des mouettes la lèvre des vagues.
Aime-moi et soulève ton masque.
Aime-moi comme la taupe aime son obscurité
Et la tigresse le cerf craintif ;
Amour et peur soient tes deux amours !
Aime-moi et soulève ton masque !
Dylan Thomas
Concerto pour clavecin n° 8 en ré mineur BWV 1059
La couleur des baisers
Les mots ont leur couleur et les baisers aussi :
Les uns, du ton pâli des roses effeuillées,
S’envolent tristement vers les cimes brouillées
Où pleure le regret du souvenir transi.
D’autres, dernières fleurs, sur le chemin durci,
Aux pétales de givre, aux corolles fouillées
Dans des pleurs de cristal, sont aux âmes rouillées
D’un blanc immaculé, sous le ciel obscurci.
Quelques-uns ont le ton discret des violettes ;
D’autres, presque effacés, doux et frêles squelettes,
Me semblent un essaim de grands papillons gris.
Le baiser noir du mal mord ainsi qu’une gouge,
Mais le roi des baisers dont mon être est épris
Est ton baiser de sang, ton ardent baiser rouge !
{Jane de La Vaudère