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Babillarde

20 Septembre 2019, 01:48am

Publié par vertuchou

Babillarde, qui toujours viens
Le sommeil et songe troubler
Qui me fait heureux et content,
Babillarde aronde, tais-toi.

Babillarde aronde, veux-tu
Que de mes gluaux affutés
Je te fasse choir de ton nid?
Babillarde aronde, tais-toi.

Babillarde aronde, veux-tu
Que coupant ton aile et ton bec
Je te fasse pis que Térée?
Babillarde aronde, tais-toi.

Si ne veux te taire, crois-moi,
Je me vengerai de tes cris,
Punissant ou toi ou les tiens.
Babillarde aronde, tais-toi.

Jean-Antoine de BAÏF

 

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Mon bonheur, mon merveilleux bonheur doré

19 Septembre 2019, 01:41am

Publié par vertuchou

Novembre 1923

Mon bonheur, mon merveilleux bonheur doré, comment puis-je t’expliquer à quel point je suis tout à toi — avec tous mes souvenirs, mes poèmes, mes éclats, mes tornades intérieures ? Ou t’expliquer que je ne peux pas écrire un mot sans entendre la façon dont tu vas le prononcer — et que je ne peux me rappeler de la moindre bagatelle que j’ai vécue sans éprouver le regret si vif que nous ne l’ayons pas vécue ensemble — que ce soit la chose la plus personnelle, la plus intransmissible, ou juste un coucher de soleil au détour d’une route — tu vois ce que je veux dire, mon bonheur ?
Et je le sais : je ne peux rien te dire avec des mots — et quand je le fais au téléphone, alors cela sort d’une manière complètement fausse. Parce qu’avec toi on se doit de parler merveilleusement, de la façon dont on parle aux gens qui sont partis depuis longtemps… en des termes purs et légers et d’une précision spirituelle… On t’écorcherait avec un vilain diminutif — car tu es absolument évocatrice, comme l’eau de la mer, ma belle.
Plus que tout je souhaite que tu sois heureuse, et il me semble que je pourrais te donner ce bonheur — un bonheur simple et radieux, mais pas tout à fait banal…

Je serais prêt à te donner tout mon sang si je le devais — c’est difficile à expliquer, ça semble plat, mais c’est comme cela. Voilà, je vais te dire : avec mon amour j’aurais pu remplir dix siècles de feu, de chansons, de courage — dix siècles tous entiers, prodigieux et aériens, pleins de chevaliers chevauchant des collines éclatantes, et de légendes à propos de géants, et de troyens féroces, et de voiles oranges, et de pirates, et de poètes. Et ce n’est pas de la littérature car si tu relis avec attention tu verras que les chevaliers se sont révélés être idiots.
Je veux simplement te dire que d’une manière ou d’une autre je ne peux pas imaginer ma vie sans toi…
Je t’aime, je te veux, j’ai insupportablement besoin de toi… Tes yeux — qui brillent avec tellement d’émerveillement quand, la tête renversée en arrière, tu dis quelque chose de drôle — tes yeux, ta voix, tes lèvres, tes épaules, si lumineux, radieux…
Tu es entrée dans ma vie, pas comme si tu rendais une visite… mais comme si tu arrivais dans un royaume où toutes les rivières attendaient ton reflet, et toutes les routes, tes pas.

 Vladimir Nabokov

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Enfants de septembre

18 Septembre 2019, 01:44am

Publié par vertuchou

A Jules Supervielle

Les bois étaient tout recouverts de brumes basses,
Déserts, gonflés de pluie et silencieux ;
Longtemps avait soufflé ce vent du Nord où passent
Les Enfants Sauvages, fuyant vers d’autres cieux,
Par grands voiliers, le soir, et très haut dans l’espace

J’avais senti siffler leurs ailes dans la nuit,
Lorsqu’ils avaient baissé pour chercher les ravines
Où tout le jour, peut-être, ils resteront enfouis ;
Et cet appel inconsolé de sauvagine
Triste, sur les marais que les oiseaux ont fuis.

Après avoir surpris le dégel de ma chambre,
A l’aube, je gagnai la lisière des bois ;
Par une bonne lune de brouillard et d’ambre
Je relevai la trace, incertaine parfois,
Sur le bord du layon, d’un enfant de Septembre.

Les pas étaient légers et tendres, mais brouillés,
Ils se croisaient d’abord au milieu des ornières
Où dans l’ombre, tranquille, il avait essayé
De boire, pour reprendre ses jeux solitaires
Très tard, après le long crépuscule mouillé.

Et puis, ils se perdaient plus loin parmi les hêtres
Où son pied ne marquait qu’à peine sur le sol ;
Je me suis dit : il va s’en retourner peut-être
A l’aube, pour chercher ses compagnons de vol,
En tremblant de la peur qu’ils aient pu disparaître.

Il va certainement venir dans ces parages
A la demi-clarté qui monte à l’orient,
Avec les grandes bandes d’oiseaux de passage,
Et les cerfs inquiets qui cherchent dans le vent
L’heure d’abandonner le calme des gagnages.

Le jour glacial s’était levé sur les marais ;
Je restais accroupi dans l’attente illusoire,
Regardant défiler la faune qui rentrait
Dans l’ombre, les chevreuils peureux qui venaient boire
Et les corbeaux criards, aux cimes des forêts.

Et je me dis : je suis un enfant de Septembre,
Moi-même, par le cœur, la fièvre et l’esprit,
Et la brûlante volupté de tous mes membres,
Et le désir que j’ai de courir dans la nuit
Sauvage, ayant quitté l’étouffement des chambres.

Il va certainement me traiter comme un frère,
Peut-être me donner un nom parmi les siens ;
Mes yeux le combleraient d’amicales lumières
S’il ne prenait pas peur, en me voyant soudain
Les bras ouverts, courir vers lui dans la clairière.

Farouche, il s’enfuira comme un oiseau blessé,
Je le suivrai jusqu’à ce qu’il demande grâce,
Jusqu’à ce qu’il s’arrête en plein ciel, épuisé,
Traqué jusqu’à la mort, vaincu, les ailes basses,
Et les yeux résignés à mourir, abaissés.

Alors, je le prendrai dans mes bras, endormi,
Je le caresserai sur la pente des ailes,
Et je ramènerai son petit corps, parmi
Les roseaux, rêvant à des choses irréelles,
Réchauffé tout le temps par mon sourire ami...

Mais les bois étaient recouverts de brumes basses
Et le vent commençait à remonter au Nord,
Abandonnant tous ceux dont les ailes sont lasses,
Tous ceux qui sont perdus et tous ceux qui sont morts,
Qui vont par d’autres voies en de mêmes espaces !

Et je me suis dit : Ce n’est pas dans ces pauvres landes
Que les enfants de Septembre vont s’arrêter ;
Un seul qui se serait écarté de sa bande
Aurait-il, en un soir, compris l’atrocité
De ces marais déserts et privés de légende ?

Patrice de La Tour du Pin

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Moulin dans la clarté du soleil

17 Septembre 2019, 02:41am

Publié par vertuchou

Piet Mondrian Moulin dans la clarté du soleil (1908)

Piet Mondrian Moulin dans la clarté du soleil (1908)

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Deuxième promenade

16 Septembre 2019, 01:51am

Publié par vertuchou

La mer donne l'écume et la terre le sable.
L'or se mêle à l'argent dans les plis du flot vert.
J'entends le bruit que fait l'éther infranchissable,
Bruit immense et lointain, de silence couvert.

Un enfant chante auprès de la mer qui murmure.
Rien n'est grand, ni petit. Vous avez mis, mon Dieu,
Sur la création et sur la créature
Les mêmes astres d'or et le même ciel bleu.

Notre sort est chétif ; nos visions sont belles.
L'esprit saisit le corps et l'enlève au grand jour.
L'homme est un point qui vole avec deux grandes ailes,
Dont l'une est la pensée et dont l'autre est l'amour.

Sérénité de tout ! majesté ! force et grâce !
La voile rentre au port et les oiseaux aux nids.
Tout va se reposer, et j'entends dans l'espace
Palpiter vaguement des baisers infinis.

Le vent courbe les joncs sur le rocher superbe,
Et de l'enfant qui chante il emporte la voix.
O vent ! que vous courbez à la fois de brins d'herbe !
Et que vous emportez de chansons à la fois !

Qu'importe ! Ici tout berce, et rassure, et caresse.
Plus d'ombre dans le cœur ! plus de soucis amers !
Une ineffable paix monte et descend sans cesse
Du bleu profond de l'âme au bleu profond des mers.
 

Victor Hugo

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Toujours la poésie essaie d’habiller

15 Septembre 2019, 02:37am

Publié par vertuchou

Toujours la poésie essaie d’habiller la femme, mais elle ne peut pas.

Toujours elle essaie de cerner l’infini, mais elle ne peut pas,

et la femme est l’infini;

Adonis

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Un feu vivant

14 Septembre 2019, 02:23am

Publié par vertuchou

Il y a entre "nous" et "toi" ce temps étrange.

Par-delà les monts d'étain noir où l'orage a planté ses lances

Il y a cette épaisse nuit, gorgée de feuillage, d'humide

Et tout un bruissement secret de fers, de peurs, de boucliers.

Je voudrais retrouver l'aurore intacte par-dessous ta tête

Mais je ne sais si la mésange aura passé le dur minuit

Ni si, de son bec entrouvert, tombera le fil du soleil.

Luc  Berimont

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Mary with cat

13 Septembre 2019, 12:33pm

Publié par vertuchou

Robert Frank, Mary with cat, c.1950

Robert Frank, Mary with cat, c.1950

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Le monstre ou le paranymphe d'une nymphe macabre

12 Septembre 2019, 01:48am

Publié par vertuchou

I

Tu n’es certes pas, ma très-chère,
Ce que Veuillot nomme un tendron.
Le jeu, l’amour, la bonne chère,
Bouillonnent en toi, vieux chaudron !
Tu n’es plus fraîche, ma très-chère,

Ma vieille infante ! Et cependant
Tes caravanes insensées
T’ont donné ce lustre abondant
Des choses qui sont très-usées,
Mais qui séduisent cependant.

Je ne trouve pas monotone
La verdeur de tes quarante ans ;
Je préfère tes fruits, Automne,
Aux fleurs banales du Printemps !
Non ! tu n’es jamais monotone !

Ta carcasse a des agréments
Et des grâces particulières ;
Je trouve d’étranges piments
Dans le creux de tes deux salières ;
Ta carcasse a des agréments !

Nargue des amants ridicules
Du melon et du giraumont !
Je préfère tes clavicules
À celles du roi Salomon,
Et je plains ces gens ridicules !

Tes cheveux, comme un casque bleu,
Ombragent ton front de guerrière,
Qui ne pense et rougit que peu,
Et puis se sauvent par derrière
Comme les crins d’un casque bleu.

Tes yeux qui semblent de la boue,
Où scintille quelque fanal,
Ravivés au fard de ta joue,
Lancent un éclair infernal !
Tes yeux sont noirs comme la boue !

Par sa luxure et son dédain
Ta lèvre amère nous provoque ;
Cette lèvre, c’est un Éden
Qui nous attire et qui nous choque.
Quelle luxure ! et quel dédain !

Ta jambe musculeuse et sèche
Sait gravir au haut des volcans,
Et malgré la neige et la dèche
Danser les plus fougueux cancans.
Ta jambe est musculeuse et sèche ;

Ta peau brûlante et sans douceur,
Comme celle des vieux gendarmes,
Ne connaît pas plus la sueur
Que ton œil ne connaît les larmes.
(Et pourtant elle a sa douceur !)


II

Sotte, tu t’en vas droit au Diable !
Volontiers j’irais avec toi,
Si cette vitesse effroyable
Ne me causait pas quelque émoi.
Va-t’en donc, toute seule, au Diable !

Mon rein, mon poumon, mon jarret
Ne me laissent plus rendre hommage
À ce Seigneur, comme il faudrait.
« Hélas ! c’est vraiment bien dommage ! »
Disent mon rein et mon jarret.

Oh ! très-sincèrement je souffre
De ne pas aller aux sabbats,
Pour voir, quand il pète du soufre,
Comment tu lui baises son cas !
Oh ! très-sincèrement je souffre !

Je suis diablement affligé
De ne pas être ta torchère,
Et de te demander congé,
Flambeau d’enfer ! Juge, ma chère,
Combien je dois être affligé,

Puisque depuis longtemps je t’aime,
Étant très-logique ! En effet,
Voulant du Mal chercher la crème
Et n’aimer qu’un monstre parfait,
Vraiment oui ! vieux monstre, je t’aime !

Charles Baudelaire

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Je regardais Lucie

11 Septembre 2019, 02:03am

Publié par vertuchou

Je regardais Lucie. — Elle était pâle et blonde.
Jamais deux yeux plus doux n'ont du ciel le plus pur
Sondé la profondeur et réfléchi l'azur.
Sa beauté m'enivrait; je n'aimais qu'elle au monde.
Mais je croyais l'aimer comme on aime une sœur,
Tant ce qui venait d'elle était plein de pudeur!
Nous nous tûmes longtemps; ma main touchait la sienne,
Je regardais rêver son front triste et charmant,
Et je sentais dans l'âme, à chaque mouvement,
Combien peuvent sur nous, pour guérir toute peine,
Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur,
Jeunesse de visage et jeunesse de cœur.

 Alfred de Musset

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