Coups de cœur
Le corps humain
Le corps humain est étrange, imparfait et imprévisible. Le corps humain a bien des secrets et ne les divulgue à personne, sauf à ceux qui ont appris à attendre. Le corps humain a des oreilles. Le corps humain a des mains. Le corps humain est créé à l’intérieur d’un autre corps humain, et l’être humain qui émerge de cet autre corps humain est nécessairement petit, faible et sans défense. Le corps humain est créé à l’image de Dieu. Le corps humain a des pieds. Le corps humain a des yeux. Le corps humain est innombrable dans ses formes, ses manifestations, ses degrés de taille, de morphologie et de couleur, et regarder un corps, c’est appréhender ce corps seulement et nul autre. On peut appréhender le corps humain, mais on ne peut pas le comprendre. Le corps humain a des épaules. Le corps humain a des genoux. Le corps humain est un objet et un sujet, l’extérieur d’un intérieur qui ne peut être vu. Le corps humain croît depuis les petites dimensions de la première enfance jusqu’aux grandes dimensions de l’âge adulte, puis il commence à mourir. Le corps humain a des hanches. Le corps humain a des coudes. Le corps humain vit dans l’esprit de celui qui possède un corps humain, et vivre à l’intérieur du corps humain que possède l’esprit qui perçoit un autre corps humain, c’est vivre dans un monde fait d’autres êtres. Le corps humain a une pilosité. Le corps humain a une bouche. Le corps humains a des organes génitaux. Le corps humain est créé à partir de la poussière, et quand le corps humain n’est plus, il retourne à la poussière dont il venait.
(…)
Le corps humain ne peut pas exister sans d’autres corps humains.
Le corps humain a besoin d’être touché (…).
Le corps humain a une peau.
Paul Auster, Sunset Park
Genoux ouverts je veille
Genoux ouverts je veille.
Je dis ton nom de temps en temps pour en voir l’effet.
Ton nom d’homme nu, ton nom d’homme que j’aime.
Si je ferme les yeux, j’y vois la nuit. Une étoile proche me gouverne.
Je suis sûre de ce désir.
Demain je te dirais seulement que j’ai mis longtemps à m’endormir.
Mireille Sorgue
Chansons de l’amoureuse sur les toits
La nuit peut bien tomber sur la ville
endormie et, tempête, emporter les toits,
les arbres et les enseignes mortes,
je ne céderai pas, dit-elle,
comme ceux qui, voyant venir la fin
de la partie, s’effacent et consentent
à mourir avant que le joueur baisse
le pouce. J’ai une carte secrète
qui me bat sous les côtes un air si vif
que je vole et que la terre en tremble,
précipitant la nuit dans la nuit,
hier dans ses décombres.
J’aime, et le jour est tout neuf.
Guy Goffette
Julia
La bouche
Ni sa pensée, en vol vers moi par tant de lieues,
Ni le rayon qui court sur son front de lumière,
Ni sa beauté de jeune dieu qui la première
Me tenta, ni ses yeux – ces deux caresses bleues ;
Ni son cou ni ses bras, ni rien de ce qu’on touche,
Ni rien de ce qu’on voit de lui ne vaut sa bouche
Où l’on meurt de plaisir et qui s’acharne à mordre,
Sa bouche de fraîcheur, de délices, de flamme,
Fleur de volupté, de luxure et de désordre,
Qui vous vide le cœur et vous boit jusqu’à l’âme…
marie Nizet
Je dis qu'il faut être voyant
Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.
Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences.
Arthur Rimbaud
Je vais à travers ton corps comme par le monde
Je vais à travers ton corps comme par le monde,
ton ventre est une place ensoleillée,
tes seins sont deux églises où l’on célèbre le sang et ses mystères parallèles,
mes regards te couvrent comme du lierre,
tu es une ville que la mer assiège,
une muraille que la lumière divise en deux moitiés de couleur pêche,
un lieu de sel, de roches et d’oiseaux sous la loi du midi ébahi,
vêtue par la couleur de mes désirs comme ma pensée tu vas nue,
je vais à travers tes yeux comme par l’eau,
les tigres boivent le rêve de ces yeux,
le colibri se brûle dans ces flammes,
je vais à travers ton front comme par la lune,
comme le nuage à travers ta pensée,
je vais à travers ton ventre comme par tes rêves…
Octavio Paz
Sunset In The Blue
J’ai survécu à mes désirs
J’ai survécu à mes désirs
Et quitté mes rêves. Lucide,
Il ne me reste qu’à souffrir
Devant les fruits de mon cœur vide.
Couronne effeuillée au matin
Sous l’orge d’un soir contraire…
Déjà je vis en solitaire,
Et tristement j’attends la fin.
L’orage siffle sur la terre.
Frappée par la rigueur du sort,
Tremble sur l’arbre, seule encor,
Une feuille retardataire.
Alexandre Pouchkine