Coups de cœur
Le meilleur moment des amours
Le meilleur moment des amours
N'est pas quand on a dit : "Je t'aime"
Il est dans le silence même
À demi rompu tous les jours ;
Il est dans les intelligences
Promptes et furtives des cœurs ;
Il est dans les feintes rigueurs
Et les secrètes indulgences ;
Il est dans le frisson du bras
Où se pose la main qui tremble,
Dans la page qu'on tourne ensemble
Et que pourtant on ne lit pas.
Heure unique où la bouche close
Par sa pudeur seule en dit tant ;
Où le cœur s'ouvre en éclatant
Tout bas, comme un bouton de rose ;
Où le parfum seul des cheveux
Parait une faveur conquise !
Heure de la tendresse exquise
Où les respects sont des aveux.
Sully Prudhomme
La poésie augmente le sentiment de la réalité
La poésie augmente le sentiment de la réalité
La poésie est une forme de mélancolie
La poésie est l'expression de l'expérience de la poésie
La poésie doit résister à l'intelligence presque avec succès
Toute poésie est expérimentale
La poésie est un faisan qui disparaît dans le fourré.
Wallace Stevens
Quoi ?
Quoi ?
Qu’es-tu pour moi ?
Que sont pour moi tes doigts
et tes lèvres ?
Qu’est pour moi le son de ta voix ?
Qu’est pour moi ton odeur
avant l’étreinte
et ton parfum
pendant l’étreinte
et après ?
Qu’es-tu pour moi ?
Que suis-je pour toi ?
Que suis-je ?
Erich Fried
Andante con moto
Étoile la gitane
Presse ta bouche pourpre sur la mienne,
Étoile, la gitane !
Et sous l’or solaire du grand midi
Je mordrai à la pomme.
Par les verts oliviers de la colline,
Il est une tour maure
Qui rappelle le teint de ta peau brune
Fleurant miel et aurore.
Ton corps brûlé au soleil me dispense
Le divin aliment
Qui fait fleurir le cours d’eau apaisé
Et s’étoiler les vents.
Pourquoi t’es-tu livrée, lumière brune ?
Pourquoi m’as-tu donné remplis
D’amour ton sexe de lys
Et la rumeur de tes seins ?
Serait-ce pour mon air si triste ?
(O ma lourde démarche !)
Ou si ma vie t’a fait pitié
Qui à chanter se fane ?
Pourquoi n’as-tu préféré à mes plaintes
Les cuisses en sueur
D’un saint Christophe campagnard, lentes
Dans l’amour et superbes ?
Danaïde des voluptés, tu es
Un Sylvain féminin
Dont les baisers ont le parfum des blés
Grillés par le soleil.
Obscurcis-moi les yeux avec ton chant.
Laisse ta chevelure
S’épandre solennelle comme un voile
D’ombre sur la verdure.
Rougis pour moi de ta bouche sanglante
Tout un ciel d’amour
Où sur un fond de chair luit la violette
Étoile des douleurs.
Mon Pégase andalou est le captif
De tes yeux ouverts.
Il s’envolera dolent et pensif
Lorsqu’il les verra morts.
Quand tu ne m’aimerais pas, moi je t’aime
Pour ton regard sombre
Ainsi que pour sa rosée l’alouette
Aime le jour nouveau.
Presse ta bouche pourpre sur la mienne,
Étoile, la gitane !
Et laisse-moi sous le feu de midi
Mordre à la pomme.
Federico Garcia Lorca
Je lui dis de venir
Je lui dis de venir, qu'il doit recommencer à me prendre. Il vient, Il sent bon la cigarette anglaise, le parfum cher, il sent le miel, à force sa peau a pris l'odeur de la soie, celle fruitée du tussor de soie, celle de l'or, il est désirable.
Je lui dis ce désir de lui. Il me dit d'attendre encore. Il me parle, il dit qu'il a su tout de suite, dès la première traversée du fleuve, que je serais ainsi après mon premier amant, que j'aimerais l'amour, il dit qu'il sait déjà que lui je le tromperai et aussi que je tromperai tous les hommes avec qui je serai. Il dit que quant à lui il a été l'instrument de son propre malheur. Je suis heureuse de tout ce qu'il m'annonce et je le lui dis. Il devient brutal, son sentiment est désespéré, il se jette sur moi, il mange les seins d'enfant, il crie, il insulte. Je ferme les yeux sur le plaisir très fort. Je pense : il a l'habitude, c'est ce qu'il fait dans la vie, l'amour, seulement ça. Les mains sont expertes, merveilleuses, parfaites. J'ai beaucoup de chance, c'est clair, c'est comme un métier qu'il aurait, sans le savoir il aurait le savoir exact de ce qu'il faut faire, de ce qu'il faut dire. Il me traite de putain, de dégueulasse, il me dit que je suis son seul amour, et c'est ça qu'il doit dire et c'est ça qu'on dit quand on laisse le dire se faire, quand on laisse le corps faire et chercher et trouver et prendre ce qu'il veut, et là tout est bon, il n'y a pas de déchet, les déchets sont recouverts, tout va dans le torrent, dans la force du désir.
Marguerite Duras, L’Amant
Pour la peau
Comme tu as su attendre
Comme tu lui as parlé
Et comme elle résistait
Elle voulait se défendre
Et c'était presque beau
De vous voir, presque beau
Ta patience infinie
Ses "non, "oui", "pas ici".
Un jour ça s'est passé
Elle voulait dans ta chambre
Et tout a bien été
Et tout était très tendre;
Mais après, comme toujours,
Ça t'as rendu tout chose.
Elle s'est lavée vite fait;
Tu savais bien comme c'était mais
Qu'est ce que tu n'ferais pas Pour la peau ?
Qu'est ce que tu n'ferais pas Pour la peau ?
Ton sang chauffé d'un coup
Tu le sens cavaler
Te porter n'importe où
Te faire faire un peu tout, sans frein;
Là, tu es dans un lit
Où ton sang t'a mené
Et la fille est jolie
Et après, vous parlez
Et tu dis "j'ai quelqu'un";
Tu dors sous d'autres draps
Depuis longtemps déjà,
C'est pourquoi tu es là
Avec ton sang qui dort
Sous tes mains, sous ta peau;
Ton sang paisible enfin
Paisible, lui au moins.
Qu'est ce que tu n'ferais pas Pour la peau ?
Qu'est ce que tu n'ferais pas Pour la peau ?
Qu'est ce que tu n'ferais pas Pour la peau ?
Qu'est ce que tu n'ferais pas Pour la peau ?
Qu'est ce que tu n'ferais pas Pour la peau ?
Paroliers : Dominique Ane / Sacha Toorop
Zéphyre -Sarabande
Le coquillage
Suis-je inutile et hors d’usage,
Nuit ? Du gouffre de l’univers,
Sans perle, un simple coquillage
Jeté sur le bord de la mer ?
La vague écume sous ta brise,
Ton chant est sauvage et lointain,
Mais tu l’aimes, ô nuit exquise,
Ce coquillage étrange et vain.
Le couvrant d’un manteau d’étoiles,
Près de lui sur le sable d’or,
Tu le berces pendant qu’il dort
Du bruit houleux de la rafale.
Maison d’un cœur sans habitants,
Ce coquillage aux murs fragiles,
Remplis-le de rumeurs subtiles,
De brouillard, d’écume et de vent !
Ossip Emilievitch Mandelstam