Les mots
Les mots il suffit qu'on les aime pour écrire un poème.
Raymond Queneau
Coups de cœur
Les mots il suffit qu'on les aime pour écrire un poème.
Raymond Queneau
Haïssez celui qui n’est pas de votre race
Haïssez celui qui n’a pas votre foi
Haïssez celui qui n’est pas de votre rang social
Haïssez, haïssez, vous serez haï.
De la haine, on passera à la croisade,
Vous tuerez ou vous serez tué
Quoi qu’il en soit, vous serez les victimes de votre haine
La loi est ainsi :
Vous ne pouvez être heureux seul
Si l’autre n’est pas heureux, vous ne le serez pas non plus,
Si l’autre n’a pas d’avenir, vous n’en aurez pas non plus,
Si l’autre vit d’amertume, vous en vivrez aussi,
Si l’autre est sans amour, vous le serez aussi.
Le monde est nous tous, ou rien.
L’abri de votre égoïsme est sans effet dans l’éternité.
Si l’autre n’existe pas, vous n’existez pas non plus.
Louis Calaferte
Ce soir, à travers le bonheur,
Qui donc soupire, qu'est-ce qui pleure ?
Qu'est-ce qui vient palpiter sur mon cœur,
Comme un oiseau blessé ?
Est-ce une plainte de la terre,
Est-ce une voix future,
Une voix du passé ?
J'écoute, jusqu'à la souffrance,
Ce son dans le silence.
Île d'oubli, ô Paradis !
Quel cri déchire, cette nuit,
Ta voix qui me berce ?
Quel cri traverse
Ta ceinture de fleurs,
Et ton beau voile d'allégresse ?
Charles Van Lerberghe
Les poèmes ne sont pas faits pour signifier, ils sont faits pour intensifier les mots.
Yves Bonnefoy, L’heure présente
Je donne tout.
En cachette, je garde dans mon coeur
ton coeur, dans mon ventre ton ventre,
dans mes yeux tes paupières,
en silence, je garde sur ma langue
ta langue, dans mes cheveux les tiens,
dans ma bouche ta bouche.
Ecoute :
je donne tout, je ne demande rien.
Cécile Coulon
Artiste, désormais tu veux peindre la Vie
Moderne, frémissante, avide, inassouvie,
Belle de douleur calme et de sévérité;
Car ton esprit sincère a soif de vérité.
Vois, comme une forêt d’arbres, la ville immense
Murmure sous l’orage et le vent en démence;
Ses entassements noirs de toits et de maisons
Ont le charme effrayant des larges frondaisons.
Aime ses bruits, ses voix, ses rires, son tumulte,
Ses monuments qu’en vain le Temps railleur insulte,
Ses marchés, ses jardins; aime ses pauvres cieux
Toujours mornes, d’un gris terne et délicieux.
Surtout, n’imite pas Hamlet; sans épigramme
Et d’un cœur chaleureux, aime l’Homme et la Femme.
La Femme surtout! Suis de l’œil ces bataillons
De gamines qui vont, blanches sous les haillons,
Et qui, montrant leurs dents, croquent de jaunes pommes
De terre frites, sous l’œil allumé des hommes !
Peins la svelte maigreur aux méplats séduisants
Et la gracilité des filles de seize ans;
Va, ne dédaigne rien, ni la bourgeoise obèse
Ni la duchesse au front d’or que le zéphyr baise,
Ni la pierreuse, proie offerte au noir filou,
Qui peigne ses cheveux lourds avec un vieux clou,
Ni la bonne admirant, parmi la transparence
Des bassins, le reflet d’un pantalon garance,
Ni la vieille qui, pour implorer un secours,
Se coiffe d’un madras et chante dans les cours,
Ni ces filles de joie aux tragiques allures
Offrant au vent furtif leurs roses chevelures,
Et poursuivant, les soirs, leur patient calcul
Devant les Nouveautés et le café Méhul,
Catins dont les satins, sans jamais faire halte,
Comme des serpents noirs se traînent sur l’asphalte!
Regarde l’Homme aussi! Peins tous les noirs troupeaux
Des hommes, sénateurs on bien marchands de peaux
De lapins; droit, bossu, formidable ou bancroche,
Vois l’Homme, vois-le bien, de d’Arthez à Gavroche !
L’homme actuel, sublime à la fois et mesquin,
Est vêtu d’un complet, comme un Américain;
Mais tel qu’il est, ce pitre, épris de Navarette,
Qui dans ses doigts pâlis roule une cigarette,
Lit dans les astres noirs d’un oeil terrible et sûr,
Voleur divin, saisit Isis en plein azur,
Pose un baiser brutal sur ses yeux pleins d’étoiles,
D’un ongle furieux déchire tous ses voiles,
Comme un fer rouge met la lèvre sur son col
Et la contemple, et pâle encor de son viol,
A ses pieds gémissant une plainte ingénue
Regarde la Nature échevelée et nue.
Oui, l’Homme, vois-le bien, tire parti de tout !
Il est beau, l’orateur farouche, qui debout,
Du Progrès fugitif embrassant la chimère,
Parle et courbe les fronts sous sa parole amère;
Mais le vieux chiffonnier, qui sous le ciel changeant
Montre son crochet noir et sa barbe d’argent,
Près de la verte Seine a des beautés de Fleuve.
Et c’est un beau modèle, avec sa blouse neuve,
Que l’Alphonse blêmi, fashionable et vainqueur,
Dont la cravate rose et les accroche-cœur
Font fanatisme, et qui, doux jeune homme de joie,
Tortille crânement sa casquette de soie.
Oh! ne dédaigne rien dans ta ville! Chéris
Les parcs éblouissants, ces jardins de Paris
Où pour nous réjouir, en leurs apothéoses
Brillent les cœurs sanglants et fulgurants des roses;
Mais, artiste, aime aussi les pauvres talus des
Fortifications, où sous le triste dais
Du ciel gris, l’herbe jaune et sèche qui se pèle
Semble un front dévoré par un érésipèle;
Car c’est là que, toujours las de voir empirer
Son destin, l’ouvrier captif vient respirer
Et que la jeune fille heureuse, en mince robe,
Laissant errer son clair sourire, où se dérobe
Quelque rêve secret de ménage et d’amour,
Avec ses yeux brûlants vient boire un peu de jour !
10 avril 1879.
Théodore de Banville