/https%3A%2F%2Fassets.over-blog.com%2Ft%2Fdelicate%2Fimages%2Fheader%2Fheader.jpg)
Coups de cœur
Hier, la nuit d'été
Hier, la nuit d'été, qui nous prêtait ses voiles,
Etait digne de toi, tant elle avait d'étoiles !
Tant son calme était frais ! tant son souffle était doux !
Tant elle éteignait bien ses rumeurs apaisées !
Tant elle répandait d'amoureuses rosées
Sur les fleurs et sur nous !
Moi, j'étais devant toi, plein de joie et de flamme,
Car tu me regardais avec toute ton âme !
J'admirais la beauté dont ton front se revêt.
Et sans même qu'un mot révélât ta pensée,
La tendre rêverie en ton cœur commencée
Dans mon cœur s'achevait !
Et je bénissais Dieu, dont la grâce infinie
Sur la nuit et sur toi jeta tant d'harmonie,
Qui, pour me rendre calme et pour me rendre heureux,
Vous fit, la nuit et toi, si belles et si pures,
Si pleines de rayons, de parfums, de murmures,
Si douces toutes deux !
Oh oui, bénissons Dieu dans notre foi profonde !
C'est lui qui fit ton âme et qui créa le monde !
Lui qui charme mon cœur ! lui qui ravit mes yeux !
C'est lui que je retrouve au fond de tout mystère !
C'est lui qui fait briller ton regard sur la terre
Comme l'étoile aux cieux !
C'est Dieu qui mit l'amour au bout de toute chose,
L'amour en qui tout vit, l'amour sur qui tout pose !
C'est Dieu qui fait la nuit plus belle que le jour.
C'est Dieu qui sur ton corps, ma jeune souveraine,
A versé la beauté, comme une coupe pleine,
Et dans mon cœur l'amour !
Laisse-toi donc aimer ! — Oh ! l'amour, c'est la vie.
C'est tout ce qu'on regrette et tout ce qu'on envie
Quand on voit sa jeunesse au couchant décliner.
Sans lui rien n'est complet, sans lui rien ne rayonne.
La beauté c'est le front, l'amour c'est la couronne :
Laisse-toi couronner !
Ce qui remplit une âme, hélas ! tu peux m'en croire,
Ce n'est pas un peu d'or, ni même un peu de gloire,
Poussière que l'orgueil rapporte des combats,
Ni l'ambition folle, occupée aux chimères,
Qui ronge tristement les écorces amères
Des choses d'ici-bas ;
Non, il lui faut, vois-tu, l'hymen de deux pensées,
Les soupirs étouffés, les mains longtemps pressées,
Le baiser, parfum pur, enivrante liqueur,
Et tout ce qu'un regard dans un regard peut lire,
Et toutes les chansons de cette douce lyre
Qu'on appelle le cœur !
Il n'est rien sous le ciel qui n'ait sa loi secrète,
Son lieu cher et choisi, son abri, sa retraite,
Où mille instincts profonds nous fixent nuit et jour ;
Le pêcheur a la barque où l'espoir l'accompagne,
Les cygnes ont le lac, les aigles la montagne,
Les âmes ont l'amour !
Le 21 mai 1833.
Victor Hugo.
La poésie est une femme
La poésie est une femme dont le charme n'épargne personne.
Luccia Ongouya
Hier ne meurt pas tu sais
Hier ne meurt pas tu sais,
L'Amour épouse le passé,
Caresse l'instant vécu,
Et embrasse nos folies.
Je viendrai encore te dire,
Les secrets d'un pétale de rose,
La douceur des mains du jardinier,
Sur la naissance du jour.
L'aube dans une feuille nue,
Se fera femme pour éclairer ta vie,
Et si mes mots te plaisent encore,
Je serai moi l'amante de l'aurore.
Carole Riquet
Moritat (Mack the Knife)
A la Femme aimée
Lorsque tu vins, à pas réfléchis, dans la brume,
Le ciel mêlait aux ors le cristal et l’airain.
Ton corps se devinait, ondoiement incertain,
Plus souple que la vague et plus frais que l’écume.
Le soir d’été semblait un rêve oriental
De rose et de santal.
Je tremblais. De longs lys religieux et blêmes
Se mouraient dans tes mains, comme des cierges froids.
Leurs parfums expirants s’échappaient de tes doigts
En le souffle pâmé des angoisses suprêmes.
De tes clairs vêtements s’exhalaient tour à tour
L’agonie et l’amour.
Je sentis frissonner sur mes lèvres muettes
La douceur et l’effroi de ton premier baiser.
Sous tes pas, j’entendis les lyres se briser
En criant vers le ciel l’ennui fier des poètes
Parmi des flots de sons languissamment décrus,
Blonde, tu m’apparus.
Et l’esprit assoiffé d’éternel, d’impossible,
D’infini, je voulus moduler largement
Un hymne de magie et d’émerveillement.
Mais la strophe monta bégayante et pénible,
Reflet naïf, écho puéril, vol heurté,
Vers ta Divinité.
Renée Vivien
Rien n'a égalé cet instant-là.
Rien n'a égalé cet instant-là. Pas même ce que tu as réussi à faire avec moi, le souffle court et tout enfiévrée, après que j'ai répondu à ta question suivante, tes doigts et ta bouche si chauds sur moi que je ne savais plus ce qui était toi et ce qui était moi, ce que je n'avais encore permis à aucun garçon parce qu'aucun n'avait demandé si joyeusement, si délicatement mon aide, pas même cela, notre "tout-sauf", notre "pas-jusqu'au-bout" terrifiant et vertigineux rien n'égalait pour moi cette image de toi te tordant de rire. Je ne te l'ai jamais dit, même après t'avoir répété je t'aime tellement de fois ce jour-là, je ne t'ai jamais dis que le grand éblouissement avait été cet instant-là, avant : nous deux riant comme des baleines, ensemble - ensemble comme tout le monde nous disait de ne pas l'être. Je ne te l'ai jamais dit, c'était trop intense, trop fort. Je le peux seulement maintenant, les yeux brûlants de larmes chez Leopardi avec mon ami retrouvé, et c'est une chose à voir seulement dans la lumière de ce matin où nous échangions le même émerveillement.
Daniel Handler, Inventaire après rupture.
D’un et de deux, de tous
Je suis le spectateur et l’acteur et l’auteur,
Je suis la femme et son mari et leur enfant,
Et le premier amour et le dernier amour,
Et le passant furtif et l’amour confondu.
Et de nouveau la femme et son lit et sa robe,
Et ses bras partagés et le travail de l’homme,
Et son plaisir en flèche et la houle femelle.
Simple et double ma chair n’est jamais en exil.
Car, où commence un corps, je prends forme et conscience.
Et, même quand un corps se défait dans la mort,
Je gis en son creuset, j’épouse son tourment,
Son infamie honore et mon cœur et la vie.
Paul Eluard
Mme Kupka parmi les verticales
Fantaisie du Soir
Assis dans l’ombre, devant sa cabane, tranquillement
Le laboureur, le frugal, voit son âtre qui fume.
Dans la paix du village la cloche du soir salue
Le voyageur au loin de sons hospitaliers.
En cette heure sans doute les marins rentrent aussi au port,
Dans des villes lointaines, joyeux et bourdonnant encore
De l’industrie bruyante du marché ; sous la calme tonnelle
Un convivial repas resplendit pour les amis.
Et moi, où vais-je donc ? Les mortels vivent
De travail et salaire ; alternant peine et paix,
Tout pour eux est gaieté ; pourquoi en mon seul cœur
L’aiguillon ne veut-il jamais dormir ?
Un printemps a fleuri dans le ciel du soir ;
Les roses fleurissent, innombrables, et le monde doré
Semble apaisé ; ô prenez-moi là-bas,
Nuages pourpres ! et que là-haut,
Dans les airs et la lumière, amour et douleur se dissolvent !
Hélas, comme effrayé par ma folle supplique, le charme
S’enfuit ; tout devient sombre et me voici
Sous le ciel, comme toujours, solitaire.
Doux sommeil, viens donc, maintenant, le cœur
Désire trop ; enfin, pourtant, tes feux
Déclineront, jeunesse, inquiète, rêveuse !
La vieillesse sera alors calme et sereine.
*
Comme, lorsqu’au jour de fête, pour aller inspecter son champ,
Un paysan s’en va le matin, quand pendant tout le temps
D’une brûlante nuit la fraîcheur des éclairs est tombée
Et qu’au loin retentit encore le tonnerre
Le fleuve revient en ses berges,
Le sol se met à reverdir,
Et de l’agréable pluie du ciel
La vigne goutte doucement et les arbres
Du bois scintillent doucement sous le soleil :
Ainsi se trouvent-ils, sous un climat propice,
Ceux que n’éduque pas un maître seul, mais dans
La merveilleuse omniprésence de son embrassement léger,
La puissante, la divine et belle nature.
C’est pourquoi, lorsqu’elle semble à certaines saisons
Endormie dans le ciel ou parmi les plantes ou les peuples,
Le visage des poètes aussi est attristé,
Ils semblent être seuls, mais ils continuent de pressentir,
Car elle-même aussi repose dans cette préscience.
Mais maintenant le jour se lève ! Je l’attendais et l’ai vu venir,
Et que ce que j’ai vu, le sacré soit ma parole.
Car elle-même, elle qui est plus vieille que les temps
Et se tient au-dessus des dieux du Soir et de l’Orient,
La nature, maintenant, s’est réveillée dans un bruit d’armes ;
Et, depuis les hauteurs de l’Ether jusqu’au fond de l’abîme,
Selon, comme jadis, une loi rigoureuse, engendré du Chaos sacré,
De nouveau l’enthousiasme éprouve,
Lui l’omnicréateur, sa renaissance.
Et, comme à l’œil de l’homme un feu s’est allumé
Quand il a projeté quelque chose de noble, ainsi
S’est enflammé aux signes maintenant, de nouveau,
Aux actions du monde, dans l’âme des poètes, un feu.
Et ce qui était advenu déjà, mais à peine senti,
N’est manifeste qu’aujourd’hui, et celles
Qui avaient en souriant cultivé notre champ,
Sous l’apparence de serviteurs, elles sont reconnues,
Les toutes-vivantes, les forces des dieux.
Les interroges-tu ? C’est dans le chant que souffle leur esprit,
Quand du soleil du jour il a surgi et de la terre
Chaude et des orages qui errent dans les airs, et des autres,
Davantage mûris dans les profondeurs du temps,
Et plus chargés de sens et plus audibles,
Qui errent entre le ciel et la terre, et parmi les peuples,
Les pensées de l’esprit collectif sont,
Silencieusement, parvenues à leur terme, dans l’âme du poète.
Afin que vite atteinte, et depuis longtemps
Familière à l’infini, elle frémisse de souvenir,
Et que lui réussisse, incendié par le rayon sacré,
Fruit enfanté dans l’amour, ouvrage des dieux et des hommes,
Pour témoigner des uns et des autres, le Chant.
Ainsi, comme le disent les poètes, puisqu’elle désirait
Voir visiblement le dieu, s’est abattue sa foudre sur la maison
De Sémélé, et la divinement atteinte a mis au monde
Le fruit de cet orage, le dieu sacré Bacchus.
Et de là vient que les fils de la terre,
A présent, boivent le feu céleste sans danger.
Mais à nous il revient, parmi les orages de Dieu,
Vous les poètes, de demeurer debout la tête nue,
Et de saisir le rayon du père, de le saisir lui-même de notre main
Et de tendre, enveloppée dans le voile
Du chant, au peuple la divine offrande.
Car pour peu que de cœur pur
Comme les enfants nous-mêmes nous soyons, qu’innocentes
Soient nos mains, le rayon du Père, le pur, ne brûlera pas
Notre cœur, et celui-ci, bien que profondément ébranlé, compatissant
Avec les douleurs du plus fort, demeurera dans les tempêtes
Déferlantes du dieu, à son approche, inébranlable.
Malheur à moi pourtant ! quand de
Malheur à moi !
Et si je dis aussitôt
Que je me suis approché pour contempler les célestes,
Et qu’eux-mêmes ils me jettent profondément sous les vivants,
Moi, le faux prêtre, dans l’obscurité, pour que
Je chante, à ceux qui savent apprendre, le chant de mise en garde.
Là-bas.
Friedrich Hölderlin
traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre