/https%3A%2F%2Fassets.over-blog.com%2Ft%2Fdelicate%2Fimages%2Fheader%2Fheader.jpg)
Coups de cœur
Paroles du solitaire
Au fil flottant d'amours fantasques et fatales
Je suis venu jusqu'au dur Vivre, inconsolé,
Par vos baisers bénits au grand néant volé,
Hasardeux rejeton de minutes brutales.
Complices, votre sang dans les veines je l'ai,
En moi vous fleurissez vieilles sèves vitales :
Mélancolique fleur aux trop rouges pétales,
Triste enfant dès la Vie à la Mort immolé.
Je ne passerai pas ma torche dans l'arène,
C'est le flambeau d'Isolde et je l'éteindrai seul ;
Nul n'outragera mon front blanc du nom d'aïeul ;
Sans m'être monnayé, pareil au fruit sans graine,
Je péris : en ce fils courbé sur tous tes pleurs,
Race, contemple-toi, comme Narcisse, et meurs.
Robert d'Humières
Tu me regardes
Tu me regardes, tu me regardes de tout près, tu me regardes de plus en plus près, nous jouons au cyclope, nos yeux grandissent, se rejoignent, se superposent, et les cyclopes se regardent, respirent confondus, les bouches se rencontrent, luttent tièdes avec leurs lèvres, appuyant à peine la langue sur les dents, jouant dans leur enceinte où va et vient un air pesant dans un silence et un parfum ancien. Alors mes mains s'enfoncent dans tes cheveux, caressent lentement la profondeur de tes cheveux, tandis que nous nous embrassons comme si nous avions la bouche pleine de fleurs ou de poissons, de mouvements vivants, de senteur profonde. Et si nous nous mordons, la douleur est douce et si nous sombrons dans nos haleines mêlées en une brève et terrible noyade, cette mort instantanée est belle. Et il y a une seule salive et une seule saveur de fruit mûr, et je te sens trembler contre moi comme une lune dans l'eau.
Julio Cortázar, Marelle.
L’amour est une science
L’amour est une science
Et de toi j’ai tout appris
Et j’écoute ton silence
Que je n’avais pas compris.
T’ai-je mal aimé cher ange !
Ange doux, ange brutal…
Pur limpide, sans mélange,
Fermé comme le cristal.
Jean Cocteau
Tabac Royal
Hymne à la beauté
Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme,
Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.
Tu contiens dans ton œil le couchant et l'aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.
Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?
Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.
Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ;
De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.
L'éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,
Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !
L'amoureux pantelant incliné sur sa belle
A l'air d'un moribond caressant son tombeau.
Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton œil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ?
De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène,
Qu'importe, si tu rends, - fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! -
L'univers moins hideux et les instants moins lourds ?
Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal
La poésie est tout
La poésie est tout ce qui reste à l’homme pour proclamer sa dignité,
ne pas sombrer dans le nombre, pour que son souffle reste à jamais imprimé
et attesté dans le cri.
Abdellatif Laâbi
Le matin se lève...
Le matin se lève toujours trop tôt
car le cœur ne vibre
que la nuit, dans le noir
recouvrant les rêves
un doux velours tendu
à la fenêtre, le verbe aimer
conjugué au futur
le contour d’une silhouette
encore inconnue
mais qui viendra un jour
dans ma vie
je la reconnaîtrai à ses lèvres
suspendues à la mer
ou à sa passion
pour les langues laissant chanter
leurs voyelles
Il faudra me fier à ces antennes
qu’on sent parfois sous la peau
ces frêles antennes
de papillon en éveil
Louise Dupré
Invention en do mineur, BWV 773
Poème de l'amour XXVII
Je possédais tout, mais je t’aime ;
Mon être est par moi déserté ;
Je vis distante de moi-même,
Implorant ce que j’ai été :
Songe à cette mendicité!
Est-ce ta voix ou ton silence,
Ou bien ces indulgents débats
Où, répétant ce que tu penses,
Je t’induis en tes préférences
Afin de suivre tous tes pas,
Qui me font, avec confiance,
Affirmer notre ressemblance,
O toi que je ne connais pas ?…
Anna de Noailles