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Coups de cœur
Eventail de Mademoiselle Mallarmé
Ô rêveuse, pour que je plonge
Au pur délice sans chemin,
Sache, par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main.
Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque battement
Dont le coup prisonnier recule
L’horizon délicatement.
Vertige ! voici que frissonne
L’espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s’apaiser.
Sens-tu le paradis farouche
Ainsi qu’un rire enseveli
Se couler du coin de ta bouche
Au fond de l’unanime pli !
Le sceptre des rivages roses
Stagnants sur les soirs d’or, ce l’est,
Ce blanc vol fermé que tu poses
Contre le feu d’un bracelet.
Stéphane Mallarmé
Jusqu’où peut-on aimer, poursuivre, détenir ?
Jusqu’où peut-on aimer, poursuivre, détenir ?
Quand a-t-on épuisé la quantité des yeux ?
Quand vient l’heure où l’esprit se vante de finir
Ce repas renaissant, intact et captieux ?
Avoir ne donne rien à l’appétit sans terme,
Tout est commencement et dérisoire effort ;
Quel est ce gain léger, cette avance, ce germe,
Tant que tu m’éblouis et que tu n’es pas mort ?
— La concluante mort cependant serait vaine,
J’ai besoin que tu sois quand je ne vivrai plus ;
Je tremble d’emporter dans le froid de mes veines
L’éclat mystérieux par lequel tu m’as plu…
Anna de Noailles
Tout poète
Tout poète est par son essence un émigré.
Un émigré du Royaume des Cieux et du paradis terrestre,de la nature.
Le poète,porte au front une marque d’inconfort.
Un émigré sorti de l’Immortalité pour entrer dans le temps et qui ne peut retourner dans son ciel.
Marina Tsvetaieva
Nuits blanches
Personne… Et le corps dit : ce qui est dit
Ne doit pas être dit. Mais « personne »
Est aussi un corps et ce que dit ce corps
N’est entendu de personne,
Á part toi.
Chute de neige et nuit… La répétition d’un crime,
Parmi les arbres. Le stylo…
Parcourt la surface de la terre ; ne sait plus…
Ce qui va se passer et la main qui le tient
Disparaît.
Pourtant, il écrit,
Il écrit : au commencement, parmi les arbres,
Un corps a émergé
De la nuit,
En marchant. Il écrit :
La blancheur du corps est de couleur terre.
C’est la terre,
Et la terre a écrit que tout…
Est la couleur du silence.
Je n’y suis plus pour personne. Je n’ai jamais dit ce que tu
Prétends que j’ai dit.
Pourtant, le corps
Est un lieu où rien ne meurt. Et chaque nuit,
Du silence des arbres, tu sais que ma voix
Marche vers toi.
Paul Auster
Auto-portrait
Se voir le plus possible…
Se voir le plus possible et s’aimer seulement,
Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
Sans qu’un désir nous trompe, ou qu’un remords nous ronge,
Vivre à deux et donner son cœur à tout moment ;
Respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge,
Faire de son amour un jour au lieu d’un songe,
Et dans cette clarté respirer librement –
Ainsi respirait Laure et chantait son amant.
Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême,
C'est vous, la tête en fleurs, qu’on croirait sans souci,
C’est vous qui me disiez qu’il faut aimer ainsi.
Et c’est moi, vieil enfant du doute et du blasphème,
Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci :
Oui, l’on vit autrement, mais c’est ainsi qu’on aime.
Alfred de Musset
Vous êtes la première femme
Vous êtes la première femme que j’aime et je suis peut-être le premier homme qui vous aime à ce point. Si ce n’est pas là une sorte d’hymen que le ciel bénisse, le mot amour n’est qu’un vain mot !
Lettre de John Keats à Fanny Brawne, mercredi 13 octobre 1819.
Les lilas
Je rêve et je me réveille
Dans une odeur de lilas
De quel côté du sommeil
T'ai-je ici laissé ou là
Je dormais dans ta mémoire
Et tu m'oubliais tout bas
Ou c'était l'inverse histoire
Etais-je où tu n'étais pas
Je me rendors pour t'atteindre
Au pays que tu songeas
Rien n'y fait que fuir et feindre
Toi tu l'as quitté déjà
Dans la vie ou dans le songe
Tout a cet étrange éclat
Du parfum qui se prolonge
Et d'un chant qui s'envola
O claire nuit jour obscur
Mon absente entre mes bras
Et rien d'autre en moi ne dure
Que ce que tu murmuras
Louis Aragon