Coups de cœur
L'agonisant
Ce doit être bon de mourir,
D’expirer, oui, de rendre l’âme,
De voir enfin les cieux s’ouvrir ;
Oui, bon de rejeter sa flamme
Hors d’un corps las qui va pourrir ;
Oui, ce doit être bon, Madame,
Ce doit être bon de mourir !
Bon, comme de faire l’amour,
L’amour avec vous, ma Mignonne,
Oui, la nuit, au lever du jour,
Avec ton âme qui rayonne,
Ton corps royal comme une cour ;
Ce doit être bon, ma Mignonne,
Oui, comme de faire l’amour ;
Bon, comme alors que bat mon coeur,
Pareil au tambour qui défile,
Un tambour qui revient vainqueur,
D’arracher le voile inutile
Que retenait ton doigt moqueur,
De t’emporter comme une ville
Sous le feu roulant de mon coeur;
De faire s’étendre ton corps,
Dont le soupirail s’entrebâille.
Dans de délicieux efforts,
Ainsi qu’une rose défaille
Et va se fondre en parfums forts,
Et doux, comme un beau feu de paille ;
De faire s’étendre ton corps ;
De faire ton âme jouir,
Ton âme aussi belle à connaître,
Que tout ton corps à découvrir ;
De regarder par la fenêtre
De tes yeux ton amour fleurir,
Fleurir dans le fond de ton être
De faire ton âme jouir ;
D’être à deux une seule fleur,
Fleur hermaphrodite, homme et femme,
De sentir le pistil en pleur,
Sous l’étamine toute en flamme,
Oui d’être à deux comme une fleur,
Une grande fleur qui se pâme,
Qui se pâme dans la chaleur.
Oui, bon, comme de voir tes yeux
Humides des pleurs de l’ivresse,
Quand le double jeu sérieux
Des langues que la bouche presse,
Fait se révulser jusqu’aux cieux,
Dans l’appétit de la caresse,
Les deux prunelles de tes yeux ;
De jouir des mots que ta voix
Me lance, comme des flammèches,
Qui, me brûlant comme tes doigts,
M’entrent au cœur comme des flèches,
Tandis que tu mêles ta voix
Dans mon oreille que tu lèches,
À ton souffle chaud que je bois ;
Comme de mordre tes cheveux,
Ta toison brune qui ruisselle,
Où s’étalent tes flancs nerveux,
Et d’empoigner les poils de celle
La plus secrète que je veux,
Avec les poils de ton aisselle,
Mordiller comme tes cheveux ;
D’étreindre délicatement
Tes flancs nus comme pour des luttes,
D’entendre ton gémissement
Rieur comme ce chant des flûtes,
Auquel un léger grincement
Des dents se mêle par minutes,
D’étreindre délicatement,
De presser ta croupe en fureur
Sous le désir qui la cravache
Comme une jument d’empereur,
Tes seins où ma tête se cache
Dans la délicieuse horreur
Des cris que je t’arrache
Du fond de ta gorge en fureur ;
Ce doit être bon de mourir,
Puisque faire ce que l’on nomme
L’amour, impérieux plaisir
De la femme mêlée à l’homme,
C’est doux à l’instant de jouir,
C’est bon, dis-tu, c’est bon oui comme,
Comme si l’on allait mourir ?
Germain Nouveau
Tu aimais
Tu aimais la courbe de ma nuque, le parfum de mes cheveux. Ma passion des fleurs, des couleurs, la robe violette achetée à Rome, mes courgettes grillées sur la braise. Et ma patience, disais-tu. Tu aimais le terrier odorant de mes aisselles, mon rire, ma purée d'olives et d'anchois, le calme lisse de mon sommeil, ma discrétion tout au long du jour et mon impudeur dans la jouissance. Tu aimais m'entendre chantonner en me coiffant, rire et babiller avec notre fils. Tu aimais lorsque j'offrais mon visage à la pluie de septembre. Tu m'aimais.
Claude Pujade-Renaud, Dans l'ombre de la lumière.
Dans Paris
Dans Paris il y a une rue ;
Dans cette rue il y a une maison ;
Dans cette maison il y a un escalier ;
Dans cet escalier il y a une chambre ;
Dans cette chambre il y a une table ;
Sur cette table il y a un tapis ;
Sur ce tapis il y a une cage ;
Dans cette cage il y a un nid ;
Dans ce nid il y a un œuf,
Dans cet œuf il y a un oiseau.
L'oiseau renversa l'œuf ;
L'œuf renversa le nid ;
Le nid renversa la cage ;
La cage renversa le tapis ;
Le tapis renversa la table ;
La table renversa la chambre ;
La chambre renversa l'escalier ;
L'escalier renversa la maison ;
La maison renversa la rue ;
La rue renversa la ville de Paris.
Paul Éluard
Au travers d'un verre
Jusqu’où peut-on aimer ?
Jusqu’où peut-on aimer, poursuivre, détenir ?
Quand a-t-on épuisé la quantité des yeux ?
Quand vient l’heure où l’esprit se vante de finir
Ce repas renaissant, intact et captieux ?
Avoir ne donne rien à l’appétit sans terme,
Tout est commencement et dérisoire effort ;
Quel est ce gain léger, cette avance, ce germe,
Tant que tu m’éblouis et que tu n’es pas mort ?
— La concluante mort cependant serait vaine,
J’ai besoin que tu sois quand je ne vivrai plus ;
Je tremble d’emporter dans le froid de mes veines
L’éclat mystérieux par lequel tu m’as plu…
Anna de Noailles
Je suis d’avis
Je suis d’avis que le poète doit de temps en temps
plonger sa tête complètement dans l’obscurité, dans le mystère.
Robert Walser
Révélations
La nuit à tes côtés
les mots sont des clés – sont des clés.
Le désir de mourir est roi.
Que ton corps soit toujours
l’espace aimé des révélations.
Ajelandra Pizarnik
Larghetto
Sonnet
Poète, ne fais pas cas de l’amour populaire ! Le bruit momentané des louanges enthousiastes passera ; tu entendras le jugement du sot et le rire de la froide multitude ; mais toi, reste ferme, tranquille, farouche.
Tu es un roi : vis seul. Par un libre chemin, va où t’entraîne ton libre esprit, perfectionnant sans cesse les fruits de tes pensées favorites, ne demandant pas de récompense pour ton noble exploit.
Elles sont en toi-même : tu es toi-même ton plus haut tribunal ; plus sévèrement que tout autre tu peux apprécier ton travail. En es-tu content, toi, artiste exigeant ?
Tu es content ? Alors laisse la foule le vilipender, laisse-la cracher sur l’autel où ton feu brûle, et avec une pétulance enfantine secouer ton trépied.
Alexandre Pouchkine