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Coups de cœur
Placidité
Depuis que j'ai capitulé devant le temps,
je sens vivre en moi quelque chose,
une sérénité ardente et merveilleuse.
Depuis que je badine sans façon
avec les jours avec les heures,
mes lamentations sont closes.
Et d'un seul mot franc et direct
me voici délivré du fardeau
de mes fautes qui me nuisent :
le temps est le temps, il peut s'endormir,
il me trouvera toujours, brave
homme, fidèle au poste.
Robert Walser
Moi je rêve
Moi je rêve de la poésie qui ne dise rien, mais soit des bouts de rêveries sans suite.
Jules Laforgue
La poésie est quand
La poésie est quand une émotion a trouvé sa pensée et la pensée les mots.
Robert Frost
Je trahirai demain
Je trahirai demain, pas aujourd'hui.
Aujourd'hui, arrachez‑moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd'hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne faut pas moins d'une nuit
Pour renier, pour abjurer1, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd'hui.
La lime2 est sous le carreau,
La lime n'est pas pour le barreau,
La lime n'est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd'hui je n'ai rien à dire,
Je trahirai demain.
Marianne Cohn
Contrapunctus
Le vampire
Tes boucles ténébreuses et lourdent coulent
sur tes blanches courbes comme un fleuve
et dans leur flot crépu et sombre je répands
les roses enflammées de mes baisers
Tandis que j'entrouvre les épais
anneaux, je sens le léger et froid
effleurement de ta main et un long frisson
me parcourir et me pénètre jusqu'aux os.
Tes pupilles chaotiques et farouches
étincellent au soupir
qui s'exhale et me déchire les entrailles,
et pendant que j'agonise, toi, assoiffée,
tu sembles un vampire sombre et obstiné
qui de mon sang ardent se repaît.
Efren Rebolledo
Ma bouche contre ton oreille
Ma bouche contre ton oreille, je te dis des mots qui ne s'écrivent pas. Des mots qui exigent la voix. Des mots de toi à moi, les derniers prononcés qui traversent ta peau devenue froide, qui parcourent tes oreilles, ton cerveau, tes veines et tout ton squelette pour rejoindre ton souffle, si ténu soit-il. Des mots d'amour, de gratitude, alors que déjà se profile l'incertitude de ne pouvoir jamais vivre sans toi.
Léonor de Recondo, Manifesto.
Ta voix
Embusqué dans mon écriture
tu chantes dans mon poème.
Otage de ta douce voix
pétrifiée dans ma mémoire.
Oiseau accroché à sa fuite.
Air tatoué par un absent.
Montre qui bat avec moi
pour que jamais je ne m’éveille.
Alejandra Pizarnik