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Coups de cœur
Funeral Blues
Jetez un os au chien pour que ses aboiements ne résonnent,
Faites taire les pianos et au son d'un tambour voilé
Sortez le cercueil, qu'avance le cortège endeuillé.
Que les avions tournoyant dans les airs déplorent
Et tracent sur le ciel le message Il est mort.
Nouez des rubans de crêpe au cou blanc des pigeons des squares,
Et que les mains des gendarmes soient gantées de coton noir.
Il était mon Nord, mon Sud, mon Est et mon Ouest,
Ma semaine de labeur et mon dimanche de sieste,
Mon midi, mon minuit, ma langue, ma chanson ;
Je croyais que l'amour durerait à jamais : je sais à présent que non.
Eteignez les étoiles ; elles ne sont pas conviées à la veille.
Remballez la lune et démontez le soleil,
Videz l'océan et balayez les forêts ;
Car plus rien de bon ne saurait advenir désormais.
W.H. Auden
À chacune de nos rencontres
À chacune de nos rencontres, avant le premier baiser, il me regarde droit dans les yeux et me dit d’une voix douce et émue que je resplendis toujours davantage. Il adore (ou prétend adorer) mon corps sensuel qu’il traite et caresse comme s’il s’agissait d’un fin bijou ou d’une étoffe des plus précieuses.
Marie Gray, Histoires à faire rougir
Oh ! quand je dors, viens auprès de ma couche
Oh ! quand je dors, viens auprès de ma couche,
Comme à Pétrarque apparaissait Laura,
Et qu'en passant ton haleine me touche... –
Soudain ma bouche
S'entrouvrira !
Sur mon front morne où peut-être s'achève
Un songe noir qui trop longtemps dura,
Que ton regard comme un astre se lève... –
Soudain mon rêve
Rayonnera !
Puis sur ma lèvre où voltige une flamme,
Éclair d'amour que Dieu même épura,
Pose un baiser, et d'ange deviens femme... –
Soudain mon âme
S'éveillera !
Blues
Impromptu
Chaque nouveau visage de l’amour
nous prend toujours au dépourvu
il recouvre soudain tout le paysage
du voile de la beauté en flammes
Elle se met à attendre
le passage de la lumière
comme si toute sa vie
dépendait de cet éclair
Elle aime tout de son passage
le silence la musique et l’eau
le désert et l’absolu de sa soif
sa trace sur le bord des mots
Il y a un mouvement perpétuel dans son sang
une valse indigo dans ses mots
un vertige extrême avant le saut
le chant d’une louve bondi dans son destin
Parfois elle croise le regard nu de la beauté
reconnu de l’intérieur d’avant le temps
l’œil de la tempête la déploie dans l’inédit
à la source incandescente de l’univers
L’emportement la mène loin hors limites
elle ne voit plus ni sol ni mur ni rivage
ivre de l’infinie vulnérabilité des mots
elle vole libre entre peur vertige et chant
Elle découvre le bleu du vent
les nervures plus sensibles des rêves
la flèche traversière du désir
le jeu et le chant d’ailes sur sa langue
Entre noir et blanc elle suit son ombre
sa poitrine est une forêt de murmures
tous les arbres ont parfum de printemps
quand la symphonie effleure sa peau
C’est une heure solitaire suspendue
l’air bleu couvre les fenêtres de pulsations
elle naît comme la note tant attendue
le mot en souffrance qui délivre le poème
Elle ne veut plus être qu’écume de mer
avalanche de gouttes sur la beauté
le sable doux entre ses doigts devenir
le pur passage amoureux des mots
Ce matin la lumière passe si près de l’âme
l’ombre pourpre palpite sous ses pas
souffle et silence parlent la langue de l’eau
elle va au-devant du ciel qui danse
Elle sent déjà l’aimant de ses mains
l’instant de la rencontre
le moment de l’étincelle
elle devient lumière et vitesse pure
Rien ne fut et ne sera jamais assez
pour dire la valse de la joie sur sa peau
ni saisir le cristal bleu de l’instant
ce tumulte fou de la pensée et des sens
Élaine Audet
Pour un poète
Pour un poète, il ne s’agit pas de dire qu’il pleut, il s’agit de créer la pluie.
Paul Valéry
Rosemonde
Longtemps au pied du perron de
La maison où entra la dame
Que j'avais suivie pendant deux
Bonnes heures à Amsterdam
Mes doigts jetèrent des baisers
Mais le canal était désert
Le quai aussi et nul ne vit
Comment mes baisers retrouvèrent
Celle à qui j'ai donné ma vie
Un jour pendant plus de deux heures
Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m'en allai
Pour quêter la Rose du Monde
Guillaume Apollinaire
Rencontre
Au grand jamais
A la grande nuit au petit jour au grand jamais au petit toujours je t’aimerai
Voilà ce qu’il lui chantait
Son cœur à elle lui battait froid
Je voudrais que tu n’aimes que moi
Il lui disait qu’il était fou d’elle
et qu’elle était par trop raisonnable de lui
Au grand jamais au petit toujours au grand jour et à la petite nuit
Bien sûr
si je te dis je t’aime
je t’aime à en mourir
c’est un peu aussi pour en vivre
Et je ne veux pas dire que je n’aime que toi
que je n’aime pas partir
partir pour revenir
que je n’aime pas rire
et qu’à tes tendres plaintes je ne préfère pas ton sourire
N’aime que moi
dit-elle
ou alors ça ne compte pas
Essaie de comprendre
Comprendre ça ne m’intéresse pas
Tu as raison il ne s’agit pas de comprendre il s’agit de savoir
Je ne veux rien savoir
Tuas raison
il ne s’agit pas de savoir
il s’agit de vivre d’être d’exister
Tout ça n’existe pas
je veux que tu m’aimes
et que tu n’aimes que moi
mais je veux que les autres t’aiment
et que tu te refuses à elles
à cause de moi
Terriblement avide
Est-ce ma faute je suis comme ça
Bon dit-il et il s’en va
Au grand jamais au petit jour à la grande nuit au petit toujours
Ce n’est pas la peine de revenir
Elle a jeté les valises par la fenêtre et il est dans la rue seul avec les valises
Voilà maintenant que je suis tout seul comme un chien
sous la pluie puis il constate qu’il ne pleut pas c’est dommage c’est moins réussi enfin on ne peut pas avoir tous les soirs une tempête de
neige et le décor n’est pas toujours dramatique à souhait
L’homme laisse tomber les valises les chemises le rasoir électrique les flacons
et les mains dans les poches le col de pardessus relevé il fonce dans le brouillard il n’y a pas de brouillard mais l’homme pense
J’abandonne les bagages je fonce dans le brouillard
Alors il y a du brouillard
et l’homme est dans le brouillard
et pense à son grand amour
et remue les riolons du souvenir
et presse le pas parc© qu’il fait froid
et passe un pont et revient sur ses pas et passe un autre
pont et ne sait pas pourquoi
Des hommes et des femmes sortent d’un cinéma où
derrière une affiche il y a un prélat
Et la foule s’en va la lumière s’éteint le prêtre reste là
Qu’est-ce qu’il peut bien foutre derrière cette affiche ce prêtre-là
Comme l’homme le regarde le prêtre disparaît
mais passe de temps en temps la tête
comme le petit capucin de la petite maisonnette des très
rustiques baromètres une tête plate et livide comme une lune malade comme un trop vieux blanc d’œuf sur une assiette très
sale
Et puis après tout qu’est-ce que ça peut me foutre
Ce cinéma
c’est peut-être sa boîte de nuit à ce prêtre
Jacques Prévert