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Coups de cœur
emois
Qu’une main palpe
Qu’une main palpe ma tête à tâtons, et prenne du bout des doigts la forme de la coquille, la ligne du cou et les attaches, je n’ai pas la force de le prendre, je m’enfondre, je me phantome, et comme des doigts cherchent à tâtons l’ourlet de mes oreilles et mon bonnet de cheveux, dans l’horreur de mon saisissement, trop jouir me nuit, l’intelligence est perdue, dans mon gosier la parole est tarie, une glace me prend, jusqu’aux pointes me saisit toute raide, mes spondyles sont deslochées, je ne m’ouïs même pas respirer, je suis faillie.
Hélène Cixous, La.
Mon bien-aimé
Mon bien-aimé, mon Victor, ne m’abandonne pas. Aime-moi. Si je meurs avant le terme, je veux qu’on te porte mon cœur, comme le pauvre Claude fit à Albin de son dernier morceau de pain, le dernier jour de sa vie. Moi, je veux qu’on te porte mon cœur que tu dois posséder au-delà même de ma vie.
Aime-moi, pardonne-moi, fais de moi ce que tu voudras.
Je t’aime.
Ici ma vie.
Là mes baisers.
Partout
Juliette
Adresse :
À toi mon bien-aimé
Juliette Drouet, Lettres à Victor Hugo.
Vous êtes la première femme
Vous êtes la première femme que j’aime et je suis peut-être le premier homme qui vous aime à ce point. Si ce n’est pas là une sorte d’hymen que le ciel bénisse, le mot amour n’est qu’un vain mot !
Lettre de John Keats à Fanny Brawne, mercredi 13 octobre 1819.
Depuis hier soir, je songe à vous
Depuis hier soir, je songe à vous, éperdument. Un désir insensé de vous revoir, de vous revoir tout de suite, là, devant moi, est entré soudain dans mon coeur. Et je voudrais passer la mer, franchir les montagnes, traverser les villes, rien que pour poser ma main sur votre épaule, pour respirer le parfum de vos cheveux.
Ne le sentez-vous pas, autour de vous, rôder, ce désir, ce désir venu de moi qui vous cherche, ce désir qui vous implore dans le silence de la nuit ?
Lettre de Maupassant à Hermine Lecomte de Noüy, le 19 décembre 1887.
Tu me regardes
Tu me regardes, tu me regardes de tout près, tu me regardes de plus en plus près, nous jouons au cyclope, nos yeux grandissent, se rejoignent, se superposent, et les cyclopes se regardent, respirent confondus, les bouches se rencontrent, luttent tièdes avec leurs lèvres, appuyant à peine la langue sur les dents, jouant dans leur enceinte où va et vient un air pesant dans un silence et un parfum ancien. Alors mes mains s'enfoncent dans tes cheveux, caressent lentement la profondeur de tes cheveux, tandis que nous nous embrassons comme si nous avions la bouche pleine de fleurs ou de poissons, de mouvements vivants, de senteur profonde. Et si nous nous mordons, la douleur est douce et si nous sombrons dans nos haleines mêlées en une brève et terrible noyade, cette mort instantanée est belle. Et il y a une seule salive et une seule saveur de fruit mûr, et je te sens trembler contre moi comme une lune dans l'eau.
Julio Cortázar, Marelle.
Je sais aussi qu'on dit quelquefois
Je sais aussi qu'on dit quelquefois : plutôt rien qu'un sentiment qui ne soit pas parfait. Mais moi je ne crois pas aux sentiments parfaits ni aux vies absolues. Deux êtres qui s'aiment ont à conquérir leur amour, à construire leur vie et leur sentiment, et cela non seulement contre les circonstances mais aussi contre toutes ces choses en eux qui limitent, mutilent, gênent ou pèsent sur eux. Un amour, Maria, ça ne se conquiert pas sur le monde mais sur soi-même.
Albert Camus, Correspondance Albert Camus-Maria Casarès (1944-1959)
Nous avons effleuré
Nous avons effleuré et survolé nos épaules avec les doigts fauves de l'automne. Nous avons lancé à grands traits la lumière dans les nids, nous avons éventé les caresses, nous avons créé des motifs avec de la brise marine, nous avons enveloppé de zéphyrs nos jambes, nous avons eu des rumeurs de taffetas au creux des mains.
Violette Leduc, Thérèse et Isabelle.
J’ai rêvé de vous
J’ai rêvé de vous, et dans mes membres engourdis, est passé un souffle de vie et de beauté. Vous me parlez en rêve, et votre voix a la douceur d’une mélodie, et votre sourire, la chaude caresse du soleil… ne m’en voulez pas, je pense à vous… je vous désire.”
Lettre de Clara Petacci à Mussolini citée par Diane Ducret dans Femmes de dictateur.
J’entrai et la pris dans mes bras
J’entrai et la pris dans mes bras. Je sentis ses ongles sur ma nuque. Elle sanglotait. Je savais qu’il ne s’agissait ni de moi ni d’elle. Il s’agissait de dénuement. C’était seulement un moment d’entraide. Nous avions besoin d’oubli, tous les deux, de gîte d’étape, avant d’aller porter plus loin nos bagages de néant. Il fallut encore traverser le désert où chaque vêtement qui tombe, rompt, éloigne et brutalise, où les regards se fuient pour éviter une nudité qui n’est pas seulement celle des corps, et où le silence accumule ses pierres. Deux êtres en déroute qui s’épaulent de leur solitude et la vie attend que ça passe.
Romain Gary, Clair de femme.