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poetes d'hier

Pour te fêter

17 Août 2013, 07:44am

Publié par vertuchou

Je continue de marcher, solitaire. Au-dessus de moi,
je sens le printemps frémir dans les branches.
Un jour, je viendrai, avec des sandales sans poussière,
attendre aux grilles du jardin.

Et tu viendras quand j'aurai besoin de toi,
et tu prendras mon hésitation pour un signe,
et silencieusement tu me tendras les roses épanouies de l'été
des tout derniers buissons.

Rainer Maria Rilke

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Chant d'amour (V)

3 Août 2013, 08:42am

Publié par vertuchou

Viens, cherchons cette ombre propice
Jusqu'à l'heure où de ce séjour
Les fleurs fermeront leur calice
Aux regards languissants du jour.
Voilà ton ciel, ô mon étoile !
Soulève, oh ! soulève ce voile,
Éclaire la nuit de ces lieux ;
Parle, chante, rêve, soupire,
Pourvu que mon regard attire
Un regard errant de tes yeux.

Laisse-moi parsemer de roses
La tendre mousse où tu t'assieds,
Et près du lit où tu reposes
Laisse-moi m'asseoir à tes pieds.
Heureux le gazon que tu foules,
Et le bouton dont tu déroules
Sous tes doigts les fraîches couleurs !
Heureuses ces coupes vermeilles
Que pressent tes lèvres, pareilles
Aux frelons qui tètent les fleurs !

Si l'onde des lis que tu cueilles
Roule les calices flétris,
Des tiges que ta bouche effeuille
Si le vent m'apporte un débris,
Si ta bouche qui se dénoue
Vient, en ondulant sur ma joue,
De ma lèvre effleurer le bord ;
Si ton souffle léger résonne,
Je sens sur mon front qui frissonne
Passer les ailes de la mort.

Souviens-toi de l'heure bénie
Où les dieux, d'une tendre main,
Te répandirent sur ma vie
Comme l'ombre sur le chemin.
Depuis cette heure fortunée,
Ma vie à ta vie enchaînée,
Qui s'écoule comme un seul jour,
Est une coupe toujours pleine,
Où mes lèvres à longue haleine
Puisent l'innocence et l'amour.

Ah ! lorsque mon front qui s'incline
Chargé d'une douce langueur,
S'endort bercé sur ta poitrine
Par le mouvement de ton coeur...

Alphonse de Lamartine

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Sonnet

30 Juillet 2013, 05:40am

Publié par vertuchou

Moi, je vis la vie à côté,
Pleurant alors que c’est la fête.
Les gens disent : « Comme il est bête ! »
En somme, je suis mal coté.

J’allume du feu dans l’été,
Dans l’usine je suis poète ;
Pour les pitres je fais la quête.
Qu’importe ! J’aime la beauté.

Beauté des pays et des femmes,
Beauté des vers, beauté des flammes,
Beauté du bien, beauté du mal.

J’ai trop étudié les choses ;
Le temps marche d’un pas normal :
Des roses, des roses, des roses !


Charles Cros

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Nos désirs sont d'amour

24 Juillet 2013, 05:09am

Publié par vertuchou

Sonnet LXXIII.

Nos désirs sont d’amour la dévorante braise,
Sa boutique nos corps, ses flammes nos douleurs,
Ses tenailles nos yeux, et la trempe nos pleurs,
Nos soupirs ses soufflets, et nos sens sa fournaise.

De courroux, ses marteaux, il tourmente notre aise
Et sur la dureté, il rabat nos malheurs,
Elle lui sert d’enclume et d’étoffe nos cœurs
Qu’au feu trop violent, de nos pleurs il apaise,

Afin que l’apaisant et mouillant peu à peu
Il brûle d’avantage et rengrège (1) son feu.
Mais l’abondance d’eau peut amortir la flamme.

Je tromperai l’enfant, car pensant m’embraser,
Tant de pleurs sortiront sur le feu qui m’enflamme
Qu’il noiera sa fournaise au lieu de l’arroser.


1. Rengrège : Augmente.

Théodore Agrippa d’Aubigné

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le tombeau

21 Juillet 2013, 05:01am

Publié par vertuchou

Immensité criminelle
vase fêlé de l'immensité
ruine sans limites

immensité qui m'accable molle
je suis mou
l'univers est coupable

la folie ailée ma folie
déchire l'immensité
et l'immensité me déchire

je suis seul
des aveugles liront ces lignes
en d'interminables tunnels

je tombe dans l'immensité
qui tombe en elle-même
elle est plus noire que ma mort

le soleil est noir
la beauté d'un être est le fond des caves un cri
de la nuit définitive

ce qui aime dans la lumière
le frisson dont elle est glacée
est le désir de la nuit

je mens
et l'univers se cloue
à mes mensonges déments

l'immensité
et moi
dénonçons les mensonges l'un de l'autre

la vérité meurt
et je crie
que la vérité ment

ma tête sucrée
qu'épuise la fièvre
est le suicide de la vérité

Le non-amour est la vérité
et tout ment dans l'absence d'amour
rien n'existe qui ne mente

comparé au non-amour
l'amour est lâche
et n'aime pas

l'amour est parodie du non-amour
la vérité parodie du mensonge
l'univers un suicide gai

dans le non-amour
l'immensité tombe en elle-même
ne sachant que faire

tout est pour d'autres en paix
les mondes tournent majestueux
dans leur monotonie calme

l'univers est en moi comme en lui-même
plus rien ne m'en sépare
je me heurte en moi-même à lui

dans le calme infini
où les lois l'enchainent
il glisse à l'impossible immensément

horreur
d'un monde tournant en rond
l'objet du désir est plus loin

la gloire de l'homme est
si grande qu'elle soit
d'en vouloir une autre

je suis
le monde est avec moi
poussé hors du possible

je ne suis que le rire
et la nuit puérile
où tombe l'immensité

je suis le mort
l'aveugle
l'ombre sans air

comme les fleuves dans la mer
en moi le bruit et la lumière
se perdent sans finir

je suis le père
et le tombeau
du ciel

l'excès de ténèbres
est l'éclat de l'étoile
le froid de la tombe est un dé

la mort joua le dé
et le fond des cieux jubile
de la nuit qui tombe en moi


Georges Bataille

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Si dehors j'étais restée

20 Juillet 2013, 05:58am

Publié par vertuchou

Si dehors j'étais restée,
où je fus commencée,
les nuits seraient péché,
et les journées danger.
Il y en aurait un qui m'eût prise
et puis de nouveau laissée,
et un second serait venu.
Ma bouche , il l’aurait cachée

avec tous ses baisers.
Et un troisième j'aurais
peut-être dû suivre nu-pieds,
et ne l'aurais atteint jamais ;
le quatrième je ne l'aurais laissé
entrer que par fatigue morose,
et pour embrasser quelque chose
et , quelque part ,être couchée.

Or , comme chez aucun je ne dormais ,
n'ai-je donc rien commis ?
Où fus-je quand nous chantâmes , dis ?
Qui appelais-je quand je T'appelais ?

Rainer Maria Rilke

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À Aurore

18 Juillet 2013, 05:47am

Publié par vertuchou

La nature est tout ce qu’on voit,
Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime.
Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,
Tout ce que l’on sent en soi-même.

Elle est belle pour qui la voit,
Elle est bonne à celui qui l’aime,
Elle est juste quand on y croit
Et qu’on la respecte en soi-même.

Regarde le ciel, il te voit,
Embrasse la terre, elle t’aime.
La vérité c’est ce qu’on croit
En la nature c’est toi-même.


George Sand

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la nuit d'août

15 Juillet 2013, 04:51am

Publié par vertuchou

Ô Muse ! que m'importe ou la mort ou la vie ?

J'aime, et je veux pâlir ; j'aime et je veux souffrir ;

J'aime, et pour un baiser je donne mon génie ;

J'aime, et je veux sentir sur ma joue amaigrie

Ruisseler une source impossible à tarir.

J'aime, et je veux chanter la joie et la paresse,

Ma folle expérience et mes soucis d'un jour,

Et je veux raconter et répéter sans cesse

Qu'après avoir juré de vivre sans maîtresse,

J'ai fait serment de vivre et de mourir d'amour.

Dépouille devant tous l'orgueil qui te dévore,

Cœur gonflé d'amertume et qui t'es cru fermé.

Aime, et tu renaîtras ; fais-toi fleur pour éclore.

Après avoir souffert, il faut souffrir encore ;

Il faut aimer sans cesse, après avoir aimé.

Alfred de Musset

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Toute entière

9 Juillet 2013, 05:09am

Publié par vertuchou

Le Démon, dans ma chambre haute,
Ce matin est venu me voir,
Et, tâchant à me prendre en faute,
Me dit : “Je voudrais bien savoir

Parmi toutes les belles choses
Dont est fait son enchantement,
Parmi les objets noirs ou roses
Qui composent son corps charmant,

Quel est le plus doux.”– O mon âme !
Tu répondis à l’Abhorré :
“Puisqu’en Elle tout est dictame
Rien ne peut être préféré.

Lorsque tout me ravit, j’ignore
Si quelque chose me séduit.
Elle éblouit comme l’Aurore
Et console comme la Nuit ;

Et l’harmonie est trop exquise,
Qui gouverne tout son beau corps,
Pour que l’impuissante analyse
En note les nombreux accords.

O métamorphose mystique
De tous mes sens fondus en un !
Son haleine fait la musique,
Comme sa voix fait le parfum !

Charles Baudelaire

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Tristesse

3 Juillet 2013, 05:11am

Publié par vertuchou

J'ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.

Quand j'ai connu la Vérité,
J'ai cru que c'était une amie ;
Quand je l'ai comprise et sentie,
J'en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d'elle
Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d'avoir quelquefois pleuré.

Alfred de Musset

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