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poetes d'hier

Connais-moi..

19 Novembre 2023, 01:38am

Publié par vertuchou

Connais-moi si tu peux, ô passant, connais-moi !
Je suis ce que tu crois et suis tout le contraire :
La poussière sans nom que ton pied foule à terre
Et l'étoile sans nom qui peut guider ta foi.

Je suis et ne suis pas telle qu'en apparence :
Calme comme un grand lac où reposent les cieux,
Si calme qu'en plongeant tout au fond de mes yeux,
Tu te verras en leur fidèle transparence...

Si calme, ô voyageur... Et si folle pourtant !
Flamme errante, fétu, petite feuille morte
Qui court, danse, tournoie et que la vie emporte
Je ne sais où mêlée aux vains chemins du vent.

Sauvage, repliée en ma blancheur craintive
Comme un cygne qui sort d'une île sur les eaux,
Un jour, et lentement à travers les roseaux
S'éloigne sans jamais approcher de la rive...

Si doucement hardie, ô voyageur, pourtant !
Un confiant moineau qui vient se laisser prendre
Et dont tu sens, les doigts serrés pour mieux l'entendre,
Tout entier dans ta main le cœur chaud et battant. -

Forte comme en plein jour une armée en bataille
Qui lutte, saigne, râle et demeure debout;
Qui triomphe de tout, risque tout, souffre tout,
Silencieuse et haute ainsi qu'une muraille...

Faible comme un enfant parti pour l'inconnu
Qui s'avance à tâtons de blessure en blessure
Et qui parfois a tant besoin qu'on le rassure
Et qu'on lui donne un peu la main, le soir venu...

Ardente comme un vol d'alouette qui vibre
Dans le creux de la terre et qui monte au réveil,
Qui monte, monte, éperdument, jusqu'au soleil,
Bondissant, enflammé, téméraire, fou, libre!...

Et plus frileuse, plus, qu'un orphelin l'hiver
Qui tout autour des foyers clos s'attarde, rôde
Et désespérément cherche une place chaude
Pour s'y blottir longtemps sans bouger, sans voir clair...

Chèvre, tête indomptée, ô passant, si rétive
Que nul n'osera mettre un collier à son cou,
Que nul ne fermera sur elle son verrou,
Que nul hormis la mort ne la fera captive...

Et qui se donnera tout entière pour rien,
Pour l'amour de servir l'amour qui la dédaigne,
D'avoir un pauvre cœur qui mendie et qui craigne
Et de suivre partout son maître comme un chien...

Connais-moi! Connais-moi! Ce que j'ai dit, le suis-je ?
Ce que j'ai dit est faux - Et pourtant c'était vrai !
L'air que j'ai dans le cœur est-il triste ou bien gai ?
Connais-moi si tu peux. Le pourras-tu ?... Le puis-je ?...

Quand ma mère vanterait
À toi son voisin, son hôte,
Mes cent vertus à voix haute
Sans vergogne, sans arrêt;
Quand mon vieux curé qui baisse
Te raconterait tout bas
Ce que j'ai dit à confesse...
Tu ne me connaîtras pas.

Ô passant, quand tu verrais
Tous mes pleurs et tout mon rire,
Quand j'oserais tout te dire
Et quand tu m'écouterais,
Quand tu suivrais à mesure
Tous mes gestes, tous mes pas,
Par le trou de la serrure...
Tu ne me connaîtras pas !

Et quand passera mon âme
Devant ton âme un moment
Éclairée à la grand-flamme
Du suprême jugement,
Et quand Dieu comme un poème
La lira toute aux élus,
Tu ne sauras pas lors même
Ce qu'en ce monde je fus...

Marie Noël

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Souffle le vent d'automne

15 Novembre 2023, 01:37am

Publié par vertuchou

Souffle le vent d'automne
Nous sommes vivants
Et pouvons nous voir
Toi et Moi

Basho

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Tu n’en reviendras pas

11 Novembre 2023, 01:41am

Publié par vertuchou

Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j’ai vu battre le coeur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille

Qu’un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu’il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l’ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux

Roule au loin roule train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur

Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous faite de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées

Vous étirez vos bras vous retrouvez le jour
Arrêt brusque et quelqu’un crie Au jus là-dedans
Vous baillez Vous avez une bouche et des dents
Et le caporal chante Au pont de Minaucourt

Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri.

Louis Aragon

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L’albatros

7 Novembre 2023, 02:07am

Publié par vertuchou

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Charles Baudelaire

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Papillon voltige

2 Novembre 2023, 02:01am

Publié par vertuchou

Papillon voltige
Dans un monde
Sans espoir.

Issa Kobayashi

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Lorsque le soir descend

29 Octobre 2023, 02:14am

Publié par vertuchou

Lorsque le soir descend, j’aime entendre les vagues
Expirer sur la grève avec des sanglots vagues,
Tandis qu’un rayon pâle égaré dans les cieux
Mêle son reflet clair au bleu triste des ondes
Et brode un ourlet d’or sur les nappes profondes
Qui jettent leur chanson dans l’air silencieux.

J’aime entendre le vent qui s’irrite ou qui pleure
Et qui parle dans l’ombre aux branches qu’il effleure
D’un baiser qui les fait frémir et s’agiter ;
J’aime écouter, pensif, la voix subtile et douce
D’un insecte azuré qui dit aux brins de mousse
Ce que nul être humain ne saurait répéter.

J’aime entendre le chant limpide de la source
Qui sur un lit de sable accélère sa course
Et s’enfuit vers un but qu’elle ne connaît pas.
J’aime entendre le cri superbe du tonnerre,
Lorsque du haut du ciel il s’adresse à la terre
Qui l’écoute soumise et tremble à ses éclats.

J’aime écouter, la nuit, tout seul devant l’espace.
Le doux bruissement du silence qui passe
Et la vague chanson qui s’échappe du ciel,
Mystiques entretiens des sphères suspendues,
Comme des lampes d’or, aux mornes étendues
Où le froid et la nuit ont leur règne éternel.

Oh ! que l’homme apprendrait de choses merveilleuses
S’il percevait le sens des voix mystérieuses
Qu’il entend s’élever à chacun de ses pas !
Mais cet hymne sacré que chante la nature
Est pour l’esprit humain d’une essence trop pure ;
Il peut le pressentir, il ne le comprend pas.

12 janvier 1882.

Alice de Chambrier

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Papillon bleu

25 Octobre 2023, 01:10am

Publié par vertuchou

Bleu reflet qui s'irise,
Un papillon nacré
Emporté par la brise
Luit, brille, disparait.

Tel, d'une aile légère,
Le bonheur est venu
Puis a, fleur éphémère,
Lui, brillé, disparu.

Herman Hesse

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LXII Frac

21 Octobre 2023, 01:09am

Publié par vertuchou

C’était un très bon petit chat
Joueur à la prunelle bleue
Il n’en voulait pas, qu’on marchât
Un peu brusquement sur sa queue.

Stéphane Mallarmé

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Le poison

17 Octobre 2023, 01:45am

Publié par vertuchou

Le vin sait revêtir le plus sordide bouge
D'un luxe miraculeux,
Et fait surgir plus d'un portique fabuleux
Dans l'or de sa vapeur rouge,
Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.

L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,
Allonge l'illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l'âme au delà de sa capacité.

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers...
Mes songes viennent en foule
Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

Tout cela ne vaut pas le terrible prodige
De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remord,
Et, charriant le vertige,
La roule défaillante aux rives de la mort !

 Charles Baudelaire
 

 

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Sonnet XVII

13 Octobre 2023, 01:18am

Publié par vertuchou

Je fuis la ville, et temples, et tous lieux
Esquels, prenant plaisir à t'ouïr plaindre,
Tu pus, et non sans force, me contraindre
De te donner ce qu'estimais le mieux.

Masques, tournois, jeux me sont ennuyeux,
Et rien sans toi de beau ne me puis peindre;
Tant que, tâchant à ce désir étreindre,
Et un nouvel objet faire à mes yeux,

Et des pensers amoureux me distraire,
Des bois épais suis le plus solitiare.
Mais j'aperçois, ayant erré maint tour,

Que si je veux de toi ëtre délivre,
Il me convient hors de moi-mëme vivre;
Ou fais encor que loin sois en séjour.

Louise Labé

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