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poetes d'hier

Tu m'as dit

9 Octobre 2023, 01:08am

Publié par vertuchou

A J.

Quand nous parcourions la plage normande,
Tu m'as dit un jour, un jour de printemps :
« Sais-tu bien, ami, ce que je demande,
Parmi tant de vœux dans l'esprit flottants ?
Indéfiniment sur la même grève,
Au même rocher par les flots battu,
Près de toi m'asseoir pour le même rêve ! »
— Ces mots adorés, les redirais-tu ?
Quand nous voyagions dans les Pyrénées,
Tu m'as dit un jour, un beau jour d'été

« Oh ! voir avec toi s'enfuir les journées !
Te sentir ainsi seul à mon côté !
Sans que rien nous lasse et nous décourage,
Ensemble gravir des pics ignorés,
Et, d'un même cœur, y braver l'orage ! »
— Les redirais-tu, ces mots adorés ?

Aux bois du Morvan, quand sèchent les chênes,
Tu m'as dit un jour d'octobre brumeux :
« Nous aurons aussi nos bises prochaines,
Et nous vieillirons, dépouillés comme eux ;
Mais qu'importe au front que demain soit sombre,
Si le souvenir garde sa vertu ?
Qu'importe avec toi le soleil ou l'ombre ? »
— Ces mots adorés, les redirais-tu ?
Quand, rentrés au nid, nous lisions ensemble,

Tu m'as dit un soir, un long soir d'hiver :
« Vivre ainsi toujours, ami, que t'en semble ?
Nous chauffer toujours à ce feu si clair ?
Et, lorsqu'il faudra déployer la voile
Pour conduire ailleurs nos cœurs préparés,
Débarquer tous deux dans la même étoile ! »
— Les redirais-tu, ces mots adorés ?


Eugène Manuel

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Rêverie

3 Octobre 2023, 01:44am

Publié par vertuchou

Ici-bas tous les lilas meurent
Je rêve aux printemps qui demeurent
Toujours
Ici-bas les lèvres effleurent
Sans rien laisser de leur velours…
Je rêve au baisers qui demeurent
Toujours

I

Le vrai, mon Enfant, c’est ton Rêve…
Tout meurt, mon Cœur, la joie est brève
Ici ;
Mais celui que Amour élève
Est délivré de ce souci :
Pour lui, toujours dure le Rêve
Ici…

Amours passés, fleur qui se fane :
Illusion pour le profane,
Mais nous
Broutons la Rose comme l’Âne,
Rose qui jamais ne se fane
Pour nous…

II

Un seul bouleau crépusculaire
Sur le mont bleu de ma Raison…
Je prends la mesure angulaire
Du cœur à l’âme et l’horizon…
C’est le galop des souvenances
Parmi les lilas des beaux yeux
Et les canons des indolences
Tirent mes songes vers les cieux

III

Ton amour, ma chérie, m’a fait presqu’infini
Sans cesse tu épuises mon esprit et mon cœur
Et me rend faible comme une femme
Puis comme la source emplit la fontaine
Ton amour m’emplit de nouveau
De tendre amour, d’ardeur et de force infinie

IV

C’était un temps béni nous étions sur les plages
— Va-t’en de bon matin pieds nus et sans chapeau —
Et vite comme va la langue d’un crapaud
Se décollaient soudain et collaient les collages

Dis, l’as-tu vu Gui au galop
Du temps qu’il était militaire
Dis, l’as-tu vu Gui au galop
Du temps qu’il était artiflot
À la guerre ?

C’était un temps béni : le temps du vaguemestre
— on est bien [plus] serré que dans un autobus —
Et des astres passaient que singeaient les obus
Quand dans la nuit survint la batterie équestre

Dis, l’as-tu vu Gui au galop
Du temps qu’il était militaire
Dis l’as-tu vu Gui au galop
Du temps qu’il était artiflot
À la guerre

C’était un temps béni : jours vagues et nuits vagues,
Les marmites donnaient aux rondins des cagnats
Quelques aluminium où tu t’ingénias
À limer jusqu’au soir d’invraisemblables bagues

Dis, l’as-tu vu, etc.

Mon Lou adoré, le vaguemestre est là, je t’adore, te désire
te prends toutes de toutes mes forces, t’aime t’aime, t’aime
ma chérie, mon petit garçon pas sage chéri, prends-moi
dans tes petits bras, vive la France et mon ptit Lou

Courmelois, le 11 mai 1915

Guillaume Apollinaire

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Tout semble libéré

29 Septembre 2023, 01:22am

Publié par vertuchou

Je regarde la nuit. Tout semble libéré,
L’esclavage du jour a détendu ses chaînes.
Au bas d’un noir coteau, par la lune nacré,
Un train lance des jets de sanglots effarés ;
Les parfums, emmêlés l’un à l’autre, s’entraînent.
Malgré l’infinité des temps incorporés,
Chaque nuit est intacte, hospitalière et neuve.
J’entends le sifflement d’un bateau sur le fleuve.
L’horloge d’un couvent, dans l’espace attentif,
Fait tinter douze coups insistants et plaintifs ;
Les parfums, dilatés, sur les brises tressaillent ;
D’un exaltant départ l’air est soudain empli.
De secrètes rumeurs circulent et m’assaillent…

— Hélas ! tendres appels, où voulez-vous que j’aille ?
Où mène le désir ? Quel rêve s’accomplit ?
Cessez de me héler, voix des divins minuits !
Je reste ; j’ai tout vu défaillir : je n’espère
Que la paix de ne plus rien vouloir sur la terre.
Je suis un compagnon harassé par le sort,
Et qui descend, courbé, la pente de la mort

Anna de Noailles

 

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Sonnet 43

25 Septembre 2023, 01:20am

Publié par vertuchou

Comment je t’aime? Laisse m’en compter les formes.
Je t’aime du fond, de l’ampleur, de la cime
De mon âme, quand elle aspire invisible
Aux fins de l’Être et de la Grâce parfaite.
Je t’aime au doux niveau quotidien du
Besoin, sous le soleil et la chandelle.
Je t’aime librement, comme on tend au Droit ;
Je t’aime purement, comme on fuit l’Éloge.
Je t’aime avec la passion dont j’usais
Dans la peine, et de ma confiance d’enfant.
Je t’aime d’un amour qui semblait perdu
Avec les miens – je t’aime de mon souffle
Rires, larmes, de ma vie! – et, si Dieu choisit,
Je t’aimerai plus encore dans la mort.

Elizabeth Barrett-Browning

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Sonnet XIV

21 Septembre 2023, 01:13am

Publié par vertuchou

Tant que mes yeux pourront larmes épandre
A l'heur passé avec toi regretter :
Et qu'aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre :

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard Luth, pour tes grâces chanter :
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre :

Je ne souhaite encore point mourir.
Mais quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,

Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d'amante :
Prierai la mort noircir mon plus clair jour.

*

Tant que mes yeux pourront larmes espandre,
A l’heur passé avec toy regretter :
Et qu’aus sanglots et soupirs resister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre :

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart Lut, pour tes graces chanter :
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre :

Je ne souhaitte encore point mourir.
Mais quand mes yeus je sentiray tarir,
Ma voix cassee, et ma main impuissante,

Et mon esprit en ce mortel sejour
Ne pouvant plus montrer signe d’amante :
Prirey la Mort noircir mon plus cler jour.

Louise Labé

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L'adieu

17 Septembre 2023, 01:06am

Publié par vertuchou

N'oubliez pas que je vous aime !
Le vaisseau se balance au port ;
Les flots changeants sont un emblème :
Loin de l'ami, le cœur s'endort !
Vous pleurez ! Votre regard même
Du mien s'arrache avec effort;
J'ai peur, et vous me donnez tort :
N'oubliez pas que je vous aime !

Hélas ! je me croyais plus fort !
Vous partez : je sanglote au tord !
Il est si court, notre poème !
Vous attendre, voilà mon sort :
Si l'on vous dit que je suis mort,
N'oubliez pas que je vous aime

Eugène Manuel

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Harmonie du soir

13 Septembre 2023, 01:04am

Publié par vertuchou

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

​Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

​Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

​Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !

Charles Baudelaire

 

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L’amour nous fait trembler comme un jeune feuillage

9 Septembre 2023, 01:03am

Publié par vertuchou

L’amour nous fait trembler comme un jeune feuillage,
Car chacun de nous deux a peur du même instant.
Mon bien-aimé, dis-tu très bas, je t’aime tant…
Laisse… Ferme les yeux… Ne parle pas… Sois sage…

Je te devine proche au feu de ton visage.
Ma tempe en fièvre bat contre ton cœur battant.
Et, le cou dans tes bras, je frissonne en sentant
Ta gorge nue et sa fraîcheur de coquillage.

Écoute au gré du vent la glycine frémir.
C’est le soir ; il est doux d’être seuls sur la terre,
L’un à l’autre, muets et faibles de désir.

D’un baiser délicat tu m’ouvres la paupière ;
Je te vois, et, confuse, avec un long soupir,
Tu souris dans l’attente heureuse du mystère.

Charles Guérin

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Chanson de Fortunio

5 Septembre 2023, 01:32am

Publié par vertuchou

Si vous croyez que je vais dire
Qui j'ose aimer,
Je ne saurais, pour un empire,
Vous la nommer.

Nous allons chanter à la ronde,
Si vous voulez,
Que je l'adore et qu'elle est blonde
Comme les blés.

Je fais ce que sa fantaisie
Veut m'ordonner,
Et je puis, s'il lui faut ma vie,
La lui donner.

Du mal qu'une amour ignorée
Nous fait souffrir,
J'en porte l'âme déchirée
Jusqu'à mourir.

Mais j'aime trop pour que je die
Qui j'ose aimer,
Et je veux mourir pour ma mie
Sans la nommer.

Alfred de Musset

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Bottom

1 Septembre 2023, 01:19am

Publié par vertuchou

La réalité étant trop épineuse pour mon grand caractère, – je me trouvai néanmoins chez ma dame, en gros oiseau gris-bleu s’essorant vers les moulures du plafond et traînant l’aile dans les ombres de la soirée.

Je fus au pied du baldaquin supportant ses bijoux adorés et ses chefs-d’œuvre physiques, un gros ours aux gencives violettes et au poil chenu de chagrin, les yeux aux cristaux et aux argents des consoles.

Tout se fit ombre et aquarium ardent.

Au matin, – aube de juin batailleuse, – je courus aux champs, âne, claironnant et brandissant mon grief, jusqu’à ce que les Sabines de la banlieue vinrent se jeter à mon poitrail.

Arthur Rimbaud

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