Parce qu'en pensant à lui
Parce qu'en pensant à lui
Je m'étais endormie
Sans doute il m'apparut.
Si j'avais su que c'était un rêve,
Je ne me serais certes pas réveillée
Ono no Komachi
Coups de cœur
Parce qu'en pensant à lui
Je m'étais endormie
Sans doute il m'apparut.
Si j'avais su que c'était un rêve,
Je ne me serais certes pas réveillée
Ono no Komachi
Lorsque le Désir fond sur ma chair et la mord,
Je me pétris joyeux sous sa serre brutale,
Et rien de moi n’échappe à l’emprise totale,
Et mes os ont connu l’affre fou de la mort.
Quand le poids d’un regard plus puissant que le sort
Me ploie ainsi qu’un jonc è la douleur fatale,
J’exulte dans l’Orgueil et dans le Deuil m’étale,
Et je suis plein d’un maître impitoyable et fort.
Vois, dans le rouge éclair de ton extase offerte,
Je plonge aux absolus en chantant à ma perte.
Toi seul es pur, aîné des dieux, sacré Désir !
L’analyse n’a point profané ton essence,
Le monde t’a donné, dans sa longue démence,
Tant de blasphémateurs qu’il te doit un martyr !
Robert d’Humières
" D'où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange,
Montant comme la mer sur le roc noir et nu ? "
- Quand notre cœur a fait une fois sa vendange,
Vivre est un mal. C'est un secret de tous connu,
Une douleur très simple et non mystérieuse,
Et, comme votre joie, éclatante pour tous.
Cessez donc de chercher, ô belle curieuse !
Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous !
Taisez-vous, ignorante ! âme toujours ravie !
Bouche au rire enfantin ! Plus encor que la Vie,
La Mort nous tient souvent par des liens subtils.
Laissez, laissez mon cœur s'enivrer d'un mensonge,
Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe,
Et sommeiller longtemps à l'ombre de vos cils !
Charles Baudelaire.
Si j'ai parlé
De mon amour, c'est à l'eau lente
Qui m'écoute quand je me penche
Sur elle ; si j'ai parlé
De mon amour, c'est au vent
Qui rit et chuchote entre les branches ;
Si j'ai parlé de mon amour, c'est à l'oiseau
Qui passe et chante
Avec le vent ;
Si j'ai parlé
C'est à l'écho,
Si j'ai aimé de grand amour,
Triste ou joyeux,
Ce sont tes yeux ;
Si j'ai aimé de grand amour,
Ce fut ta bouche grave et douce,
Ce fut ta bouche ;
Si j'ai aimé de grand amour,
Ce furent ta chair tiède et tes mains fraiches,
Et c'est ton ombre que je cherche.
Henri de Régnier
Elle aimait la vie, il aimait la mort,
Il aimait la mort, et ses sombres promesses,
Avenir incertain d'un garçon en détresse,
Il voulait mourir, laisser partir sa peine,
Oublier tous ces jours à la même rengaine...
Elle aimait la vie, heureuse d'exister,
Voulait aider les gens et puis grandir en paix,
C'était un don du ciel, toujours souriante,
Fleurs et nature, qu'il pleuve ou qu'il vente.
Mais un beau jour, la chute commença,
Ils tombèrent amoureux, mauvais choix,
Elle aimait la vie et il aimait la mort,
Qui d'entre les deux allait être plus fort?
Ils s'aimaient tellement, ils auraient tout sacrifié,
Amis et famille, capables de tout renier,
Tout donner pour s'aimer, tel était leur or,
Mais elle aimait la vie et il aimait la mort...
Si différents et pourtant plus proches que tout,
Se comprenant pour protéger un amour fou,
L'un ne rêvait que de mourir et de s'envoler,
L'autre d'une vie avec lui, loin des atrocités...
Fin de l'histoire : obligés de se séparer,
Ils s'étaient promis leur éternelle fidélité.
Aujourd'hui, le garçon torturé vit pour elle,
Puisque la fille, pour lui, a rendu ses ailes...
Il aimait la mort, elle aimait la vie,
Il vivait pour elle, elle est morte pour lui
Wiliam Shakespeare
Vous si oublieux, si inoubliable –
Combien votre sourire vous ressemble !
Quoi d’autre ? – Plus beau qu’une aube dorée.
Quoi d’autre ? – Seul dans l’univers entier.
Prisonnier dans la guerre de l’amour.
La main de Cellini a ciselé cette coupe…
Mon ami, laissez-moi dire à l’ancienne
La passion la plus tendre. Je vous aime –
Et le vent hurle dans la cheminée.
Les yeux rivés sur les flammes – accoudée –
Je vous aime. Mon amour est innocent.
Je vous le dis – comme les petits enfants.
Tout fuit ! Les tempes serrées entre mes mains,
La vie saura les desserrer. Enfin,
Jeune captif, l’amour vous aura libéré.
Mais ma voix ailée viendra gazouiller
Que vous viviez sur terre – par miracle –
Vous si oublieux, si inoubliable !
25 novembre 1918
Marina Tsvetaieva
Après tant de
brume
une
à une
les étoiles
se révèlent
Je respire
le frais
que me laisse
la couleur du ciel
Je me reconnais
image
passagère
Prise dans un cours
immortel
Giuseppe Ungaretti
Bois de Courton, juillet 1918
Yeux, lacs avec ma simple ivresse de renaître
Autre que l’histrion qui du geste évoquais
Comme plume la suie ignoble des quinquets,
J’ai troué dans le mur de toile une fenêtre.
De ma jambe et des bras limpide nageur traître,
A bonds multipliés, reniant le mauvais
Hamlet ! c’est comme si dans l’onde j’innovais
Mille sépulcres pour y vierge disparaître.
Hilare or de cymbale à des poings irrité,
Tout à coup le soleil frappe la nudité
Qui pure s’exhala de ma fraîcheur de nacre,
Rance nuit de la peau quand sur moi vous passiez,
Ne sachant pas, ingrat ! que c’était tout mon sacre,
Ce fard noyé dans l’eau perfide des glaciers
Stéphane Mallarmé, 1864
Quand je mourrai, enterrez-moi
En dressant ma tombe
Au cœur des steppes infinies
De ma chère Ukraine.
Pour que je voie les champs immenses,
Le Dniepr et ses falaises
Et pour que je puisse entendre
Son grondement puissant.
Quand de l’Ukraine il portera
Jusqu’à la mer bleue
Le sang ennemi, alors
J’abandonnerai
Montagnes et prairies et m’envolerai
Vers Dieu pour prier.
Mais jusque-là,
Dieu m’est inconnu.
Enterrez-moi. Mais vous – Debout !
Brisez vos chaînes
Et abreuvez la Liberté
Avec le sang des ennemis.
Puis, dans la grande famille,
La famille libre et nouvelle,
N’oubliez pas de m’évoquer
À voix basse, tendrement.
Taras Chevtchenko
Quelqu'un d'un doigt léger m'a touchée à l'épaule...
Je me suis retournée mais il s'était enfui :
Peut-être es-tu celui que je n'espérais plus
et dont le souvenir confus
trouble encore quelquefois le miroir de mes songes ?
Ou bien
l'ange gardien de mon âme d'enfant
alors que résonnait aux jardins du Printemps
le doux éclat de nos deux rires ?
Je froissais quelquefois tes ailes dans nos jeux,
blanches ailes au reflet bleu
comme l'enfantine journée.
Viens-tu comme autrefois, poser mes pieds lassés
sur la divine échelle où palpitaient les anges ?
Nous la sentions vibrer d'amour pur sous nos doigts,
mais c'était le temps d'autrefois...
Ou bien
es-tu tout simplement
celle que chaque jour j'attends,
la patiente Silencieuse,
avec le fil aiguisé de ta faux
dissimulé derrière ton épaule ? ...
Est-ce donc en ce soir d'automne
et dans sa fragile beauté
qu'il faut partir pour l'incertain voyage ?
Ô Mère du sommeil, prends moi donc par la main,
ne faisons pas de bruit et ne troublons personne,
partons comme s'envole une feuille en automne.
(Octobre 1943)
Louisa Paulin