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poetes d'hier

Ma mort

24 Mars 2023, 01:31am

Publié par vertuchou

Qu'importe à moi le reste de la terre ?
Des beaux esprits qu'importe la rumeur,
Et du public la sentence sévère ?
Je suis amant, et ne suis point auteur.
Je ne veux point d'une gloire pénible ;
Trop de clarté fait peur au doux plaisir.
Je ne suis rien, et ma muse paisible
Brave en riant son siècle et l'avenir.
Je n'irai pas sacrifier ma vie
Au fol espoir de vivre après ma mort.

Évariste de Parny

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Bien que mort à la foi

20 Mars 2023, 01:25am

Publié par vertuchou

Bien que mort à la foi qui m'assurait de Dieu,
Je regrette toujours la volupté de croire,
Et ce dissentiment éclate en plus d'un lieu
Dans mon livre contradictoire.

Ayant pour son malheur le choix de deux chemins
Ma vie entre chacun piétine, balancée ;
J'hésite à prendre un but, quel qu'il soit, tant je crains
De me découvrir ma pensée.

Mais, dussé-je partir sans savoir où j'irai,
Il faut que je m'enfonce enfin dans une route :
Je suis las de souffrir d'être ainsi déchiré
Par les violences du Doute.

S'il m'arrive d'errer pour un temps hors des murs
De la communauté catholique et romaine,
Je n'empêcherai pas qu'au sein des dogmes sûrs
Un heureux détour me ramène ;

Car, héritier d'un sang déjà vieux de chrétiens,
C'est encor lui qui parle en moi lorsque je pense,
Et l'amour qui m'unit sur cette terre aux miens
Me fait aimer leur espérance.

La douleur qui m'incline à de mauvais sentiers
N'usera pas l'instinct profond de tout mon être ;
Je veux, quand le moment viendra, mourir aux pieds
Du crucifix qui m'a vu naître.

Charles Guérin

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La Soupe à l'oignon

16 Mars 2023, 01:23am

Publié par vertuchou

Quel est ce bruit appétissant
Qui va sans cesse bruissant ?
On dirait le gazouillis grêle
D'une source dans les roseaux,
Ou l'interminable querelle
D'un congrès de petits oiseaux.
Mais cela n'est pas. Que je meure
Sous des gnons et sous des trognons,
Si ce ne sont pas des oignons
Qui se trémoussent dans du beurre !

Hein ! qu'est-ce que Bibi disait ?
Et ce bruit sent bon — qui plus est.
C'est à vous donner la fringale.
Traitez-moi de syndic des fous,
Je n'en connais pas qui l'égale.

« Et pourquoi faire — direz-vous —
Met-on ces oignons dans le beurre ? >
Pourquoi faire ?… triples couyons,
J'espère… une soupe à l'oignon.
Vous allez voir ça tout à l'heure !

Je m'invite, n'en doutez pas.
Et j'en veux manger, de ce pas,
À pleine louche, à pleine écuelle…
Ne me regardez pas ainsi,
C'est ma façon habituelle.
La soupe à l'oignon, Dieu merci !
Ne m'a jamais porté dommage.
Ainsi, la mère, encore un coup,
Insistez, faites en beaucoup,
Et n'épargnez pas le fromage.

Elle est prête ?… Alors, on s'y met.
Ô simple et délicat fumet !
Tous les parfums de l'Arabie
Et que l'Orient distilla,
Ne valent pas une roupie
De singe, auprès de celui-là.
Et puis !… quel fromage énergique !
File-t-il, cré nom ! file-t-il !
Si l'on ne lui coupe le fil,
Il va filer jusqu'en Belgique !

On me dirait dans cet instant :
La Fortune est là qui t'attend

« Laisse-là ta soupe et sois riche. »
Que d'un cran je ne bougerais.
Qu'elle m'attende, je m'en fiche !
En vérité, je ne saurais,
Quand elle passerait ma porte,
Manger deux soupes à la fois,
Comme celle-ci. Non, ma foi.
Alors, que le diable l'emporte !

Assez causé. Goûtons un peu
Cette soupe, s'il plaît à Dieu !
Cristi ! Qu'elle est chaude, la garce !
Autant pour moi ! Où donc aussi,
Avais-je la cervelle éparse ?
Sans doute entre Auteuil et Bercy…
Elle ne m'a pas pris en traître
Sais-je pas sur le bout du doigt,
Que toute honnête soupe doit
Être brûlante ou ne pas être ?

Qu'est-ce à dire ? Je m'aperçois
Que j'en ai repris quatre fois.
Parbleu ! je n'en fais point mystère.
Mais j'en veux manger tout mon soûl,
Quatre fois ! peuh ! la belle affaire !
J'en reprendrais bien pour un sou.
Dussé-je crever à la peine,
Je n'aurai garde d'en laisser.
Et ne croyez pas me blesser,
En m'appelant « vieux phénomène »…


Allons, bon !… Il n'en reste plus !
Et bien, alors, il n'en faut plus.
Ayons quelque philosophie.
Une soupe se trouvait là,..
Elle n'est plus là… C'est la Vie !
Que voulez-vous faire à cela ?
La soupe la plus innombrable
Finit tôt par nous dire adieu.
Et je ne vois guère que Dieu,
Finalement, de perdurable.

Raoul Ponchon

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Emportez tout

12 Mars 2023, 01:16am

Publié par vertuchou

Emportez tout, mais laissez-moi l’Extase.
Telle je serai plus riche que tous mes Compagnons –
Maladie m’est devenue séjour si sain
Depuis qu’à mon ultime Porte sont ceux qui possèdent le plus,
En abjecte pauvreté –

Emily Dickinson

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Départ

8 Mars 2023, 01:30am

Publié par vertuchou

L’heure…
Adieu
la foule tournoie,
un homme s’agite.
Les cris
des femmes autour de moi…
Chacun se précipite
me bousculant.
Voici
que, le soir tombant
j’ai froid.
Avec que ses paroles, j’emporte son sourire

février 1917

Philippe Verneuil  (Philippe Soupault)

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Je suis aimé de la plus belle

4 Mars 2023, 01:11am

Publié par vertuchou

Je suis aimé de la plus belle
Qui soit vivant dessous les cieux :
Encontre tous faux envieux
Je la soutiendrai être telle.

Si Cupidon doux et rebelle
Avait débandé ses deux yeux,
Pour voir son maintien gracieux,
Je crois qu'amoureux serait d'elle.

Vénus, la Déesse immortelle,
Tu as fait mon cœur bien heureux,
De l'avoir fait être amoureux
D'une si noble Damoiselle.

Clément Marot

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La rose-thé

28 Février 2023, 01:48am

Publié par vertuchou

La plus délicate des roses
Est, à coup sûr, la rose-thé.
Son bouton aux feuilles mi-closes
De carmin à peine est teinté.

On dirait une rose blanche
Qu'aurait fait rougir de pudeur,
En la lutinant sur la branche,
Un papillon trop plein d'ardeur.

Son tissu rose et diaphane
De la chair a le velouté ;
Auprès, tout incarnat se fane
Ou prend de la vulgarité.

Comme un teint aristocratique
Noircit les fronts bruns de soleil,
De ses soeurs elle rend rustique
Le coloris chaud et vermeil.

Mais, si votre main qui s'en joue,
A quelque bal, pour son parfum,
La rapproche de votre joue,
Son frais éclat devient commun.

Il n'est pas de rose assez tendre
Sur la palette du printemps,
Madame, pour oser prétendre
Lutter contre vos dix-sept ans.

La peau vaut mieux que le pétale,
Et le sang pur d'un noble coeur
Qui sur la jeunesse s'étale,
De toutes les roses est vainqueur !

Théophile Gautier

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La lune

24 Février 2023, 01:43am

Publié par vertuchou

Avec ses caprices, la Lune
Est comme une frivole amante ;
Elle sourit et se lamente,
Et vous fuit et vous importune.

La nuit, suivez-la sur la dune,
Elle vous raille et vous tourmente ;
Avec ses caprices, la Lune
Est comme une frivole amante.

Et souvent elle se met une
Nuée en manière de mante ;
Elle est absurde, elle est charmante ;
Il faut adorer sans rancune,
Avec ses caprices, la Lune.

Théodore de Banville

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La beauté

20 Février 2023, 01:39am

Publié par vertuchou

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études ;

Car j’ai pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

Charles Baudelaire

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Le chant de l’eau

16 Février 2023, 01:37am

Publié par vertuchou

L’entendez-vous, l’entendez-vous
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse.

Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l’on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines,
Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa ;
Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers
Et les putois et les fouines
Et les souris et les mulots
Ecoutent
Loin des sentes et loin des routes
Le bruit de l’eau.

Aubes voilées,
Vous étendez en vain,
Dans les vallées,
Vos tissus blêmes,
La rivière,
Sous vos duvets épais, dès le prime matin,
Coule de pierre en pierre
Et murmure quand même.
Si quelquefois, pendant l’été,
Elle tarit sa volupté
D’être sonore et frémissante et fraîche,
C’est que le dur juillet
La hait
Et l’accable et l’assèche.
Mais néanmoins, oui, même alors
En ses anses, sous les broussailles
Elle tressaille
Et se ranime encor,
Quand la belle gardeuse d’oies
Lui livre ingénument la joie
Brusque et rouge de tout son corps.

Oh ! les belles épousailles
De l’eau lucide et de la chair,
Dans le vent et dans l’air,
Sur un lit transparent de mousse et de rocailles ;
Et les baisers multipliés du flot
Sur la nuque et le dos,
Et les courbes et les anneaux
De l’onduleuse chevelure
Ornant les deux seins triomphaux
D’une ample et flexible parure ;
Et les vagues violettes ou roses
Qui se brisent ou tout à coup se juxtaposent
Autour des flancs, autour des reins ;
Et tout là-haut le ciel divin
Qui rit à la santé lumineuse des choses !

La belle fille aux cheveux roux
Pose un pied clair sur les cailloux.
Elle allonge le bras et la hanche et s’inclina
Pour recueillir au bord,
Parmi les lotiers d’or,
La menthe fine ;
Ou bien encor
S’amuse à soulever les pierres
Et provoque la fuite
Droite et subite
Des truites
Au fil luisant de la rivière.

Avec des fleurs de pourpre aux deux coins de sa bouche,
Elle s’étend ensuite et rit et se recouche,
Les pieds dans l’eau, mais le torse au soleil ;
Et les oiseaux vifs et vermeils
Volent et volent,
Et l’ombre de leurs ailes
Passe sur elle.

Ainsi fait-elle encor
A l’entour de son corps
Même aux mois chauds
Chanter les flots.
Et ce n’est qu’en septembre
Que sous les branches d’or et d’ambre,
Sa nudité
Ne mire plus dans l’eau sa mobile clarté,
Mais c’est qu’alors sont revenues
Vers notre ciel les lourdes nues
Avec l’averse entre leurs plis
Et que déjà la brume
Du fond des prés et des taillis
S’exhume.

Pluie aux gouttes rondes et claires,
Bulles de joie et de lumière,
Le sinueux ruisseau gaiement vous fait accueil,
Car tout l’automne en deuil
Le jonche en vain de mousse et de feuilles tombées.
Son flot rechante au long des berges recourbées,
Parmi les prés, parmi les bois ;
Chaque caillou que le courant remue
Fait entendre sa voix menue
Comme autrefois ;
Et peut-être que Mélusine,
Quand la lune, à minuit, répand comme à foison
Sur les gazons
Ses perles fines,
S’éveille et lentement décroise ses pieds d’or,
Et, suivant que le flot anime sa cadence,
Danse encor
Et danse.

Emile Verhaeren

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