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poetes d'hier

Même dispersée en mille éclats

21 Mars 2017, 02:58am

Publié par vertuchou

Même dispersée en mille éclats
Elle est toujours là
La lune dans l'eau.


Ueda Choshu

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O, si chère de loin ...

17 Mars 2017, 03:07am

Publié par vertuchou

O si chère de loin et proche et blanche, si
Délicieusement toi, Mary, que je songe
À quelque baume rare émané par mensonge
Sur aucun bouquetier de cristal obscurci

Le sais-tu, oui ! pour moi voici des ans, voici
Toujours que ton sourire éblouissant prolonge
La même rose avec son bel été qui plonge
Dans autrefois et puis dans le futur aussi.

Mon coeur qui dans les nuits parfois cherche à s'entendre
Ou de quel dernier mot t'appeler le plus tendre
S'exalte en celui rien que chuchoté de soeur

N'étant, très grand trésor et tête si petite,
Que tu m'enseignes bien toute une autre douceur
Tout bas par le baiser seul dans tes cheveux dite.

Stéphane Mallarmé

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Qu'autres que vous soient désirées

13 Mars 2017, 03:09am

Publié par vertuchou

Qu’autres que vous soient désirées,
Qu’autres que vous soient adorées,
Cela se peut facilement ;
Mais qu’il soit des beautés pareilles
À vous, merveille des merveilles,
Cela ne se peut nullement.

Que chacun sous telle puissance
Captive son obéissance,
Cela se peut facilement ;
Mais qu’il soit une amour si forte
Que celle-là que je vous porte,
Cela ne se peut nullement.

Que le fâcheux nom de cruelles
Semble doux à beaucoup de belles,
Cela se peut facilement ;
Mais qu’en leur âme trouve place
Rien de si froid que votre glace,
Cela ne se peut nullement.

Qu’autres que moi soient misérables
Par vos rigueurs inexorables,
Cela se peut facilement ;
Mais que de si vives atteintes
Parte la cause de leurs plaintes,
Cela ne se peut nullement.

Qu’on serve bien lorsque l’on pense
En recevoir la récompense,
Cela se peut facilement ;
Mais qu’une autre foi que la mienne
N’espère rien, et se maintienne,
Cela ne se peut nullement.

Qu’à la fin la raison essaie
Quelque guérison à ma plaie,
Cela se peut facilement ;
Mais que d’un si digne servage
La remontrance me dégage,
Cela ne se peut nullement.

Qu’en ma seule mort soient finies
Mes peines et vos tyrannies,
Cela se peut facilement ;
Mais que jamais par le martyre
De vous servir je me retire,
Cela ne se peut nullement.

François de Malherbe — Chansons

 

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Un voilier passe…

9 Mars 2017, 02:03am

Publié par vertuchou

Je suis debout au bord de la plage.
Un voilier passe dans la brise du matin,
et part vers l'océan.
Il est la beauté, il est la vie.
Je le regarde jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'horizon.
Quelqu'un à mon côté dit : « il est parti ! »

Parti vers où ?
Parti de mon regard, c'est tout !
Son mât est toujours aussi haut,
sa coque a toujours la force de porter
sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vue est en moi,
pas en lui.

Et juste au moment où quelqu'un prés de moi
dit : «il est parti !»
il en est d'autres qui le voyant poindre à l'horizon
et venir vers eux s'exclament avec joie :
« Le voilà ! »

C'est ça la mort !
Il n'y a pas de morts.
Il y a des vivants sur les deux rives.

William Blake

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Vénus anadyomène

5 Mars 2017, 02:51am

Publié par vertuchou

Comme d'un cercueil vert en fer-blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D'une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;

Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l'essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu'il faut voir à la loupe...

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;
Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulcère à l'anus.

27 juillet 1870
 Arthur Rimbaud

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A Jeanne

1 Mars 2017, 02:36am

Publié par vertuchou

Ces lieux sont purs ; tu les complètes.
Ce bois, loin des sentiers battus,
Semble avoir fait des violettes,
Jeanne, avec toutes tes vertus.

L’aurore ressemble à ton âge ;
Jeanne, il existe sous les cieux
On ne sait quel doux voisinage
Des bons cœurs avec les beaux lieux.

Tout ce vallon est une fête
Qui t’offre son humble bonheur ;
C’est un nimbe autour de ta tête ;
C’est un éden en ton honneur.

Tout ce qui t’approche désire
Se faire regarder par toi,
Sachant que ta chanson, ton rire,
Et ton front, sont de bonne foi.

Ô Jeanne, ta douceur est telle
Qu’en errant dans ces bois bénis,
Elle fait dresser devant elle
Les petites têtes des nids.

 

22 octobre 1859.

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Per te praesentit aruspex

25 Février 2017, 03:05am

Publié par vertuchou

O mon très cher amour, toi mon œuvre et que j'aime,
A jamais j'allumai le feu de ton regard,
Je t'aime comme j'aime une belle œuvre d'art,
Une noble statue, un magique poème.

Tu seras, mon aimée, un témoin de moi-même.
Je te crée à jamais pour qu'après mon départ,
Tu transmettes mon nom aux hommes en retard
Toi, la vie et l'amour, ma gloire et mon emblème;

Et je suis soucieux de ta grande beauté
Bien plus que tu ne peux toi-même en être fière:
C'est moi qui l'ai conçue et faite toute entière.

Ainsi, belle œuvre d'art, nos amours ont été
Et seront l'ornement du ciel et de la terre,
O toi, ma créature et ma divinité !

Guillaume Apollinaire

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Sonnet 129

21 Février 2017, 03:01am

Publié par vertuchou

La luxure : naufrage, en abîme de honte,
De la force vitale. Pour s'assouvir
Elle ment, elle calomnie, trahit, assassine,
Elle est immodérée, sauvagement cruelle,

Et méprisée si tôt que satisfaite,
Follement poursuivie mais follement
Haïe, le hameçon qu'on a dans la bouche,
Fait pour que l'esprit sombre, par la douleur.

Et insensée à vouloir comme à prendre,
Rage de qui a eu, qui possède, qui cherche,
Désirée, un délice, éprouvée, un malheur,
Attendue, une joie, passée, l'ombre d'un songe,

Et cela, qui l'ignore ? Mais qui se garde,
De ce ciel qui nous voue à cet enfer ?

William Shakespeare

(traduction d'Yves Bonnefoy)

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Le nuage

14 Février 2017, 02:24am

Publié par vertuchou

J'apporte de fraîches averses pour les fleurs assoiffées,
Venues des mers et des fleuves;
Je répands une ombre légère sur les feuilles qui reposent
Dans leurs rêves de midi.
De mes ailes, je secoue la rosée qui éveille
Tous les charmants bourgeons,
Bercés et assoupis sur le sein de leur mère,
Quant elle danse devant le soleil.
Je brandis le fléau de la grêle,
Fouettant et blanchissant les vertes plaines plus bas,
Puis, à nouveau, je la dissous en pluie,
Et je ris quand je passe, apportant le tonnerre.

Je tamise la neige sur les monts au dessous,
Et leurs pins géants gémissent de terreur;
Et toute la nuit, c'est là mon blanc oreiller,
Tandis que je dors, dans les bras de la tempête.
Souverain, sur les tours de mes demeures aériennes
Se tient l'éclair, mon pilote;
Dans un antre inférieur est enchaîné le tonnerre;
Il se débat et rugit par accès;
Au-dessus de la terre et de l'océan, d'un mouvement doux
Ce pilote me guide,
Attiré par l'amour des génies qui hantent
Les profondeurs de la mer empourprée;
Par dessus les ruisseaux, les rochers, les collines,
Par dessus lacs et plaines,
Partout où il rêve que, sous monts ou rivières,
L'esprit qu'il aime demeure;
Et moi tout ce temps, je me baigne dans le sourire bleu du firmament,
Tandis qu'il se fond en pluie.

Le soleil levant écarlate, aux yeux de météore,
Aux plumes de flammes largements ouvertes,
Bondit sur mes vapeurs flottantes,
A l'heure où s'amortit l'éclat de l'étoile du matin;
Comme à la pointe d'un roc escarpé
Qu'un tremblement de terre ébranle et fait osciller,
Un aigle perché se repose un moment
Dans la lumière de ses ailes d'or.
Et quand le soleil couchant exhale, de la mer qu'il illumine
Ses feux où s'endort l'amour,
Et que le linceul rutilant du soir
Tombe des hauteurs du ciel,
Les ailes repliées, je repose sur mon nid aérien,
Aussi tranquille qu'une tourterelle qui couve.

Cette sphère vierge, rayonnante de flammes blanches,
Que les mortels appellent Lune
Glisse et luit sur ma toison
Éparpillée par les brises de minuit;
Et toutes les fois que ses invisibles pas
Entendus par les anges seulement,
Rompent la trame de ma mince tente,
Les étoiles regardent derrière elle à la dérobée;
Et je ris de les voir se mouvoir en cercle et fuir,
Comme un essaim d'abeilles dorées,
Quand j'élargis l'ouverture de ma tente, dressée par le vent;
Jusqu'à ce que les calmes rivières, les lacs et les mers,
Comme des rubans de ciel tombés de là-haut à travers moi,
Tous, miroitent sous la lune et sous les astres.

J'entoure le trône du Soleil d'une ceinture brûlante,
Et celui de la Lune d'une cordelière de perles;
Les volcans sont obscurs, les étoiles chancellent et tournoient
Quand les tourbillons déploient ma bannière.
D'un cap à l'autre, semblable à un pont,
Par dessus une mer torrentueuse,
Insensible aux rayons du soleil, je suspends ma voûte,
Dont les montagnes sont les colonnes.
L'arche triomphale à travers laquelle je m'avance
Avec la tempête, l'ouragan, le feu et la neige,
Quand les Puissances de l'air sont enchaînées à mon trône,
Est l'arc-en-ciel aux millions de couleurs;
Cette sphère de feu là-haut tissa ses changeantes teintes,
Tandis que la Terre humide riait au-dessous.

Je suis l'enfant de la Terre et de l'eau,
Et le nourrisson du Ciel;
Je passe à travers les mailles de l'océan et du rivage;
Je change, mais ne puis mourir.
Car, après la pluie, quand sans la moindre tache,
Le pavillon du ciel est dégagé,
Et que le vent, avec les rayons du soleil, de leurs reflets convexes,
Bâtissent le dôme bleu de l'air,
Je ris en silence de mon propre cénotaphe;
Et, des cavernes de la pluie,
Comme un enfant du sein maternel, comme un fantôme de la tombe,
Je me lève, et le détruis à nouveau.

Percy Bisshe Shelley

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Éteins-moi les yeux

10 Février 2017, 03:11am

Publié par vertuchou

Éteins-moi les yeux : je saurai te voir,
bouche-moi les oreilles : je saurai t'entendre,
et même sans pieds saurai venir à toi,
et même sans bouche t'invoquer encore.
Brise-moi les bras, je te saisirai
avec mon cœur comme avec une main,
obstrue ce cœur, mon cerveau battra,
embrase ce cerveau,
mon sang te portera.

Rainer Maria Rilke

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