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poetes d'hier

Ces cheveux, ces liens, dont mon coeur tu enlasses

18 Novembre 2014, 04:14am

Publié par vertuchou

Ces cheveux, ces liens, dont mon coeur tu enlasses,
Gresles, primes, subtils, qui coulent aux talons,
Entre noirs et chastains, bruns, deliez et longs,
Tels que Venus les porte, et ces trois belles Graces ;

Me tiennent si estrains, Amour, que tu me passes
Au cœur, en les voyant, cent poinctes d'aiguillons,
Dont le moindre des nœuds pourroit des plus felons
En leur plus grand courroux arrester les menaces.

Cheveux non achetez, empruntez ny fardez,
Qui vostre naturel sans feintise gardez,
Que vous me semblez beaux ! Permettez que j'en porte

Un lien à mon col, à fin que sa beauté,
Me voyant prisonnier lié de telle sorte,
Se puisse tesmoigner quelle est sa cruauté.

Pierre de Ronsard

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Le mot et la chose

14 Novembre 2014, 04:13am

Publié par vertuchou

Madame quel est votre mot
Et sur le mot et sur la chose
On vous a dit souvent le mot
On vous a fait souvent la chose

Ainsi de la chose et du mot
Vous pouvez dire quelque chose
Et je gagerais que le mot
Vous plaît beaucoup moins que la chose

Pour moi voici quel est mon mot
Et sur le mot et sur la chose
J'avouerai que j'aime le mot
J'avouerai que j'aime la chose

Mais c'est la chose avec le mot
Mais c'est le mot avec la chose
Autrement la chose et le mot
A mes yeux seraient peu de chose

Je crois même en faveur du mot
Pouvoir ajouter quelque chose
Une chose qui donne au mot
Tout l'avantage sur la chose

C'est qu'on peut dire encore le mot
Alors qu'on ne fait plus la chose
Et pour peu que vaille le mot
Mon Dieu c'est toujours quelque chose

De là je conclus que le mot
Doit être mis avant la chose
Qu'il ne fait ajouter au mot
Qu'autant que l'on peut quelque chose

Que pour vous la chose et le mot
Doivent être la même chose
Et vous n'avez pas dit le mot
Qu'on est déjà prêt à la chose

Et que pour le jour où le mot
Viendra seul hélas sans la chose
Il faut se réserver le mot
Pour se consoler de la chose
Pour vous je crois qu'avec le mot

Vous voyez toujours autre chose
Vous dites si gaiement le mot
Vous méritez si bien la chose
Mais quand je vous dis que le mot
Doit être mis avant la chose
Vous devez me croire à ce mot
Bien peu connaisseur en la chose

Et bien voici mon dernier mot
Et sur le mot et sur la chose
Madame passez-moi le mot
Et je vous passerai la chose

Abbé de l'Attaignant (1697-1779)

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Fragment

10 Novembre 2014, 04:02am

Publié par vertuchou

Quand je t'aimais, pour toi j'aurais donné ma vie,
Mais c'est toi, de t'aimer, toi qui m'ôtas l'envie.
A tes pièges d'un jour on ne me prendra plus ;
Tes ris sont maintenant et tes pleurs superflus.
Ainsi, lorsqu'à l'enfant la vieille salle obscure
Fait peur, il va tout nu décrocher quelque armure ;
Il s'enferme, il revient tout palpitant d'effroi
Dans sa chambre bien chaude et dans son lit bien froid.
Et puis, lorsqu'au matin le jour vient à paraître,
Il trouve son fantôme aux plis de sa fenêtre,
Voit son arme inutile, il rit et, triomphant,
S'écrie : "Oh ! que j'ai peur ! oh ! que je suis enfant !"

Alfred de Musset

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Baiser XVII

6 Novembre 2014, 04:19am

Publié par vertuchou

Cette même pourpre que le matin dépose
Sur la rose humide de rosée nocturne

Rosit aussi la bouche de ma maîtresse au matin,
Mouillée toute une longue nuit de mes baisers.

La candeur de neige de son visage la couronne
Comme une vierge tenant une violette dans sa main blanche,

Comme une première cerise brille sous les fleurs tardives
Lorsqu’été et printemps voisinent dans l’arbre.

Pauvre de moi ! Pourquoi faut-il, alors qu’avec violence tu livres
Ta bouche, que je doive m'éloigner de ton lit ?

Veille, ma belle, à garder sur tes lèvres ce rose
Jusqu’à ce que le calme obscur de la nuit me rende à toi ;

Si pourtant elles devaient d’ici là cueillir les baisers d’un autre
Qu’elles en deviennent plus pâles que mes joues;

Jean Second

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Je l'ai prise dans mes bras

2 Novembre 2014, 04:08am

Publié par vertuchou

Je l'ai prise dans mes bras,
La petite sirène
Aux yeux éblouis.
Et voici qu'en chantant, ce soir, je la promène
En mon beau paradis.

Comme la lune sur la mer,
Sa longue chevelure bleue
Se mêle à la mienne,
Qui est d'or.
Sa belle queue
Traîne
Parmi les fleurs.

Comme elle a peur,
Comme son coeur bat sur mon coeur !

Je ne sais pas ce qu'elle pense.
Elle me regarde en silence,
De ses pâles yeux pleins d'effroi,
Où quelque étrange songe sommeille.
De la terre ils ne veulent
Rien voir que moi ;
Pour Elle, j'en suis la grande merveille,
Et le mystère.

Mais, parfois,
Elle étend les doigts,
Et touche l'air illuminé qui tremble,
Car la lumière et l'air ressemblent à la mer.
Et elle est triste, et parfois pleure.

Je veux la déposer, doucement, dans le fleuve,
Mon beau fleuve d'Eden, dont les divines eaux
S'en retournent parmi la chanson des roseaux
Vers la mer infinie, afin qu'il la ramène,
Heureuse et consolée, à ses soeurs les sirènes,
Et qu'elle joue encor, devant son miroir bleu,
A peigner en chantant ses longs et beaux cheveux,
Qu'ont effleurés, ce soir, quelques roses mortelles,
Et ces baisers humains que mes lèvres y mêlent.

Charles Van Lerberghe

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Et toi mon coeur pourquoi bats tu ?

29 Octobre 2014, 04:48am

Publié par vertuchou

O mon cour j'ai connu la triste et belle joie
D'être trahi d'amour et de l'aimer encore
O mon cœur mon orgueil je sais je suis le roi
Le roi que n'aime point la belle aux cheveux d'or
Rien n'a dit ma douleur à la belle qui dort
Pour moi je me sens fort mais j'ai pitié de toi
0 mon cœur étonné triste jusqu'à la mort
J'ai promené ma rage en les soirs blancs et froids
Je suis un roi qui n'est pas sûr d'avoir du pain
Sans pleurer j'ai vu fuir mes rêves en déroute
Mes rêves aux yeux doux au visage poupin
Pour consoler ma gloire un vent a dit
Écoute Élève-toi toujours. Ils te montrent la route
Les squelettes de doigts terminant les sapins.


Guillaume Apollinaire

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Le Chat

25 Octobre 2014, 04:36am

Publié par vertuchou

Dans ma cervelle se promène
Ainsi qu’en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant,
Quand il miaule, on l’entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret;
Mais que sa voix s’apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C’est là son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fond le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n’a pas besoin de mots.

Non, il n’est pas d’archet qui morde
Sur mon cœur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde

Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme un ange,
Aussi subtil qu’harmonieux.


Charles Baudelaire

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Nuits de juin

20 Octobre 2014, 04:05am

Publié par vertuchou

L’été, lorsque le jour a fui, de fleurs couverte
La plaine verse au loin un parfum enivrant ;
Les yeux fermés, l’oreille aux rumeurs entrouverte,
On ne dort qu’à demi d’un sommeil transparent.


Les astres sont plus purs, l’ombre paraît meilleure ;
Un vague demi-jour teint le dôme éternel ;
Et l’aube douce et pâle, en attendant son heure,
Semble toute la nuit errer au bas du ciel.

Victor Hugo

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Rose, eût-il fallu te laisser dehors

16 Octobre 2014, 05:51am

Publié par vertuchou

Rose, eût-il fallu te laisser dehors,
chère exquise ?
Que fait une rose là où le sort
sur nous s'épuise ?

Point de retour. Te voici
qui partages
avec nous, éperdue, cette vie, cette vie
qui n'est pas de ton âge.

Rainer Maria Rilke

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Ballade de la vie extérieure

13 Octobre 2014, 04:25am

Publié par vertuchou

Et les enfants grandissent, le regard profond,
ne sachant rien, ils grandissent, et meurent,
Et tous les êtres vont leur chemin.

Et les fruits sucrés naissent des fruits amers,
Et tombent, la nuit venue, comme des oiseaux morts,
Et gisent là quelques jours et se décomposent.

Et le vent souffle sans trêve ni repos
Et nous percevons et prononçons tant de mots,
Et sentons le plaisir et la fatigue de nos corps.

Et des routes sillonnent les prés et il y a
Des villages emplis de flambeaux, d’arbres et d’étangs
Et d’autres, menaçants et désséchés, comme morts…

Pourquoi les a -t-on bâtis? Pourquoi sont -ils si nombreux et divers?
Pourquoi les rires alternent avec les larmes, et avec la pâleur livide?

A quoi bon tout cela, et tous ces jeux,
Pour nous, qui sommes adultes et éternellement seuls,
Et qui marchons sans jamais chercher aucun but?

A quoi bon avoir vu tant de choses?
Et pourtant, quiconque prononce le mot “Soir”, dit beaucoup,
Un mot d’où s’écoule tant de sens et tant de tristesse,
Comme un miel lourd coulant des alvéoles vides.

Hugo von Hofmannsthal

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