Coups de cœur
Elle montait devant lui
Elle montait devant lui, lentement, mollement, avec une sorte de rythme. Son manteau, doublé d'une fourrure aussi neigeuse que le duvet des cygnes, n'était plus maintenu par l'agrafe et glissait autour de son buste, laissant les épaules découvertes. Ces épaules émergeaient, pâles comme de l'ivoire poli, divisées par un sillon délicat, et les omoplates se perdaient sous les dentelles du corsage avec je ne sais quelle fuyante et douce inflexion d'ailes.
Gabriele D'Annunzio, L'enfant de volupté
Le monde s'est dédoublé
Ce matin il est arrivé une chose bien étrange
Le monde s'est dédoublé
Je ne percevais plus les choses comme des choses réelles
Le monde s'est dédoublé
J'ai pris peur j'ai crié que quelqu'un me vienne en aide
Le monde s'est dédoublé
J'ai accueilli un ami qui m'a pris dans ses bras
Et m'a murmuré tout bas
Regarde derrière les nuages
Il y a toujours le ciel bleu azur
Qui lui vient toujours en ami
Te rappeler tout bas
Que la joie est toujours à deux pas
Il m'a dit prends patience
Mon ami prends patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L'ancien territoire t'éclaire de ses phares
T'éclaire de ses phares
Ce matin il est arrivé une chose bien étrange
Le monde s'est dédoublé
J'ai senti le temps se fendre un instant sur les visages même
Le monde s'est dédoublé
Vos corps que je percevais hier encore dans leur exactitude
Ont perdu leur densité
Regarde derrière les nuages
Il y a toujours le ciel bleu azur
Qui lui vient toujours en ami
Te rappeler tout bas
Que la joie est toujours à deux pas
Il m'a dit prends patience
Mon ami prends patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L'ancien territoire t'éclaire de ses phares
Regarde en dessous de la nuit
Y'a toujours le jour qui pose ses lumières
Sur un coin de la terre
Te rappelant tout bas
Que la joie est toujours à deux pas
Je te dis prends patience
Mon ami prends patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L'ancien territoire t'éclaire de ses phares
Regarde derrière les nuages
Il y a toujours le ciel bleu azur
Qui lui vient toujours en ami
Te rappeler tout bas
Que la joie est toujours à deux pas
Il m'a dit prends patience
Mon ami prends patience
Vers un nouveau rivage
Ton cœur est emporté
L'ancien territoire t'éclaire de ses phares
T'éclaire de ses phares
---Clara Ysé
Nu bleu IV
Au milieu du chemin j’avais une pierre
Au milieu du chemin j’avais une pierre
j’avais une pierre au milieu du chemin
j’avais une pierre
au milieu du chemin j’avais une pierre.
Jamais je n’oublierai cet évènement
dans la vie de mes rétines tant fatiguées.
Jamais je n’oublierai qu’au milieu du chemin
j’avais une pierre
j’avais une pierre au milieu du chemin
au milieu du chemin j’avais une pierre.
Carlos Drummond de Andrade
J’entends par poésie
J’entends par poésie non pas le charmant ornement qu’on y voit généralement,
mais la manifestation radicale et intransigeante d’une façon d’être au monde
et de penser le monde qui a des conséquences dans tous les ordres de la vie,
sociale, morale et politique.
Poésie désigne cet état de la conscience à vif qui, jouissant de l’inconnu
et de l’imprévu, récuse toute clôture du sens, c’est-à-dire toutes ces scléroses,
concepts péremptoires, identifications fixes, catégorisations en tout genre
qui répriment la vie, ce mouvement perpétuel, et nous font manquer la réalité
telle qu’elle est vraie et telle que le poète et l’artiste la perçoivent
et la restituent : d’une insolente et infinie profondeur de champ.
Jean-Pierre Siméon
Le meilleur moment des amours
Le meilleur moment des amours
N'est pas quand on a dit : "Je t'aime"
Il est dans le silence même
À demi rompu tous les jours ;
Il est dans les intelligences
Promptes et furtives des cœurs ;
Il est dans les feintes rigueurs
Et les secrètes indulgences ;
Il est dans le frisson du bras
Où se pose la main qui tremble,
Dans la page qu'on tourne ensemble
Et que pourtant on ne lit pas.
Heure unique où la bouche close
Par sa pudeur seule en dit tant ;
Où le cœur s'ouvre en éclatant
Tout bas, comme un bouton de rose ;
Où le parfum seul des cheveux
Parait une faveur conquise !
Heure de la tendresse exquise
Où les respects sont des aveux.
Sully Prudhomme.
Nobody
En traçant mon désir
En traçant mon désir
Sur la rivière,
Tout était lisse d’ombreux…
Le souffle conviait
La fraîcheur des reflets.
S’exposait pour le regard
Une grande image
De bonheur, une résistance à la nuit
Lointaine et si proche.
Fernand Ouellette
Elle alla à la rencontre
Elle alla à la rencontre de Jacques qui venait vers eux. Elle nagea quelques brasses, se releva, et renagea encore. Ludi, de loin, lui souriait. La mer faisait rire. Elle était si chaude qu'on aurait pu y rester facilement deux heures. Elle n'avait rien à voir, cette mer-là avec aucune autre mer au monde. C'était la revanche de ceux qui aimaient cet endroit, de Jacques et de Ludi. Cette mer était irréprochable. Sara se mit sur le dos et se tint immobile. C'était là une chose qu'elle ne réussissait à faire que depuis quelques jours. La mer pénétrait alors dans l'épaisseur des cheveux jusqu'à la mémoire.
Marguerite Duras. Les petits chevaux de Tarquinia