Coups de cœur
La raison me fait connaître
La raison me fait connaître
Qu'amour n'est plus de saison
Mais quand l'amour est maître,
Écoute-t-on la raison ?
Qu'est-ce que mon cœur espère
Quand il se mêle d'aimer ?
Quand on n'est plus propre à plaire,
Pourquoi se laisser charmer ?
Charles Le Marquetel dit Saint-Évremond
Je me demandais
Je me demandais comment arriver jusqu'au restaurant sans lui arracher cette robe qui ne servait qu'à la faire éclater de partout, la jeter sur la première banquette venue et la prendre là, en oubliant les convenances, le lieu public et ses badauds, la planète, le siècle, le temps, l'espace, tout, sauf son corps et son visage de statue narquoise.
Jacques Sternberg, Histoires à dormir sans vous.
Les Fusillés de Châteaubriant
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d'étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d'amour
Ils n'ont pas de recommandations à se faire
Parce qu'ils ne se quitteront jamais plus
L'un d'eux pense à un petit village
Où il allait à l'école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au-dessus de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé là ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n'entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu'ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.
I'm In The Mood For Love
Les Djinns
De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.
D'étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève1
Par instants s'élève,
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.
Les Djinns funèbres,
Fils du trépas2,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim3 gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.
Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord ;
C'est la plainte
Presque éteinte,
D'une sainte
Pour un mort.
On doute
La nuit…
J'écoute : –
Tout fuit,
Tout passe ;
L'espace
Efface
Le bruit.
28 août 1828
Victor Hugo
Il y a un monde
Il y a un monde à la taille de l’homme et de sa violence
Où tous les mots de l’homme entre la vie et la mort ont choisi
Je réclame dans ce monde là la place de la poésie
Louis Aragon
On tremble, de joie et de mystère
On tremble, de joie et de mystère
à l’intérieur du potager, on fourre les mains dans la terre
agenouillés on adore, sans le savoir,
et l’eau est substance qui réveille
grandit et restaure. Tellement de lumière dans le potager -
tellement de nuit. Chaque étoile de cet hémisphère
passe sur le potager.
Mariana Gualtieri
Le porteur de fleurs
La vallée
Non ! je ne verrai plus de si belle vallée,
Que celle où sur tes pas je descendis un jour ;
Où l'eau, parmi les fleurs lentement écoulée,
Trouve une eau qui la cherche et s'y joint sans retour.
J'étais bien ! tout parlait à mon âme ravie.
Ah ! les derniers rayons du jour et de la vie
Répandront sur mes yeux leur mourante langueur1,
Avant que ce tableau s'efface de mon cœur.
Et, pourtant, ce n'est pas cette belle verdure,
Ces ruisseaux murmurants sous les jeunes roseaux,
Ni cette ombre des bois, cette ombre où la nature
Mêlait son harmonie au doux chant des oiseaux ;
Non, ce n'est pas du ciel la lumière enchantée,
Ni l'onde éblouissante, où ma vue arrêtée
Ne pouvait soutenir l'éclat d'un sable d'or,
Qui fait en y rêvant que je tressaille encor :
C'était toi, mon amour, mon avenir, mon âme !
C'était toi, qui m'aimais ; toi, qui semblais heureux !
C'était ton regard pur qui répandait sa flamme
Sur notre plus beau jour réfléchi dans tes yeux.
Le veux‑tu ? retournons sous ces paisibles ombres,
Loin d'un monde orageux, loin de nos cités sombres ;
Viens ! cachés dans les fleurs, nos destins, nos amours,
Comme les deux ruisseaux se confondront toujours !
Marceline Desbordes-Valmore