Coups de cœur
J’ai toujours ton cœur avec moi
J’ai toujours ton cœur avec moi
Je le garde dans mon cœur
Sans lui jamais je ne suis
Là ou je vais, tu vas…
Et tout ce que je fais par moi-même est ton fait…
Je ne crains pas le destin
Car tu es à jamais le mien
Je ne veux pas d’autre monde, car
Tu es mon monde, mon vrai…
Tu es tout ce que la lune a toujours voulu dire
Et tout ce que le soleil chantera
C’est le secret profond que nul ne connaît
C’est la racine de la racine
Le bourgeon du bourgeon
Et le ciel du ciel d’un arbre appelé vie
Qui croît plus haut que l’âme ne saurait l’espérer
Ou l’esprit le cacher…
C’est la merveille qui maintient les étoiles éparses.
Je garde ton cœur
Je l’ai dans mon cœur.
E.E. Cummings
Cuir A-nall
Sonnet des gestes des Dames
S'habiller bravement, s'ombrer de fards menteurs,
D'un mauvais mot nous feindre une éloquence,
Apprendre à bégayer, n'aller qu'à révérence,
Et n'être aucunement sans servants serviteurs,
Recevoir le poulet, le plumer par humeurs,
Porter un éventail qui sert de contenance,
Avoir plus d'appareil que de vraie contenance,
Et hiéroglyphiquer en bizarres couleurs,
Naviguer à tous vents, adorer la fortune,
Faire bien les yeux doux, faire toujours la jeune,
Babiller, brocarder, médire nuit et jour,
Se mirer à toute heure haussant la chevelure,
Mettre en parlant d'amour des pièces sans couture,
Ce sont les actions des Dames de la Cour.
Marc de Papillon de Lasphrise
Le premier soir que j'osai lui adresser la parole
Le premier soir que j'osai lui adresser la parole, j'étais déjà un peu gris, et, parce qu'elle me répondait avec douceur, j'éprouvai une joie unique, une joie ! comme si tout le regret de ma vie était effacé. Nous restâmes longtemps, assis sur les tabourets, dans ce coin de bar où ne nous dérangeait pas la présence des autres. Je ne saurais dire de quoi nous parlions, mais je me rappelle que j'avais frôlé sa main, que sa jupe s'ouvrait, à gauche, sur sa jambe nue dans un bas à jour, qu'elle avait glissé dans son corsage un sachet dont ses amants respiraient l'odeur sur sa poitrine. Ainsi, elle était plus loin de moi qu'une impératrice, et, avant qu'elle recommençât son va-et-vient dans la rue, je goûtais, le prolongeant avec fièvre, la faveur inestimable de cet inutile entretien.
Robert de La Vaissière , Fille
Pendant la nuit le cœur s’alourdit
Pendant la nuit le cœur s’alourdit,
Déloge le rêve.
Les portes sont fermées.
Tu ne peux pas revenir même en songe
Dans ce qui fut ta joie.
L’abîme se creuse à tout moment,
C’est la règle.
Tu ne reposes nulle part, tu ne dormiras pas.
Qu’ils ignorent ton vrai visage, les enfants,
Laisse-les grandir pour la peine.
En attendant la prochaine rafale, va gagner ton pain,
Lève-toi,
Cède à la vie suppliante.
Louise Bouchard
Tiger Rag
Mon portrait
Vous me demandez mon portrait,
Mais peint d'après nature :
Mon cher, il sera bientôt fait
Quoiqu'en miniature.
Je suis un jeune polisson
Encore dans les classes ;
Point sot, je le dis sans façon
Et sans fades grimaces.
Oui, il ne fut babillard,
Ni docteur en Sorbonne,
Plus ennuyeux et plus braillard
Que moi-même en personne.
Ma taille à celle des plus longs
Las ! n'est point égalée ;
J'ai le teint frais, les cheveux blonds
Et la tête bouclée.
J'aime et le monde et son fracas,
Je hais la solitude ;
J'abhorre et noises et débats
Et tant soit peu l'étude.
Spectacles, bals me plaisent fort,
Et d'après ma pensée
Je dirais ce que j'aime encore
Si je n'étais au Lycée.
Après cela, mon cher ami,
L'on peut me reconnaître ;
Oui, tel que le bon Dieu me fit,
Je veux toujours paraître.
Vrai démon pour l'espièglerie,
Vrai singe pour la mine,
Beaucoup et trop d'étourderie,
Ma foi, voilà Pouchkine.
- Alexandre Pouchkine
(écrit en français, 1814)
Si la poésie
Si la poésie était le pouvoir des choses humaines invisibles
sur les choses misérables et visibles de la vie ordinaire.
Jean-Luc Seigle, Je vous écris dans le noir
La nuit n'est jamais complète
La nuit n'est jamais complète.
Il y a toujours puisque je le dis,
Puisque je l'affirme,
Au bout du chagrin,
une fenêtre ouverte,
une fenêtre éclairée.
Il y a toujours un rêve qui veille,
désir à combler,
faim à satisfaire,
un cœur généreux,
une main tendue,
une main ouverte,
des yeux attentifs,
une vie : la vie à se partager.
Paul Éluard.