Coups de cœur
Soir tropical
Le soir est lumineux ; le soir est tendre et beau.
Le soleil s’est éteint ; la lune est sur les roses.
Une langueur pénètre au cœur même des choses…
Et les grands palmiers noirs rêvent au bord de l’eau.
Les jasmins ont mêlé leurs branches étoilées
Aux lianes en fleurs. L’haleine de l’été
Caresse les fruits lourds. La grave volupté
Laisse traîner son voile au détour des allées.
Là-bas, sur le chemin, pas un chant, pas un bruit.
Rien ne trouble la paix d’un bonheur qu’on écoute…
Viens sentir les parfums sur le bord de la route.
Et respirer mon âme éparse dans la nuit.
Ida Faubert
Poésie : du langage
Poésie : "du langage chargé de sens au plus extrême degré possible".
Ezra Pound
Retrouvailles inédites
Ceux que j' appelle
Par leur nom
Et qui n' ont plus de nom
Ceux qui sont devenus
Ceux que j' aimais beaucoup,
Les ai-je aimés assez ?
Et puis te revoilà clos sur le monde
Partagé entre une aurore
Et de nouveaux succès,
Tel un cheval qui piaffe
Dans un essaim d' abeilles.
Dans ton antre
Comme un ventre
L' éclat parfumé
D' un thé
Une guitare
Et trois chansons
Dont nous savons qu'elles n' ont plus d' importance.
De plus loin revient la démesure
De nos gestes inscrits dans plus loin que l' aurore.
Ce chant partagé qui cherche ses dépositaires
Nous laisse en un clin d'oeil
L' art de nous bien taire.
Au delà des saisons,
Des éclats,
Du Pardon
Au delà de nous-mêmes
La Terre et ces moissons
Comme gorgée d' orange
Nous projettent en vermeil sur un grand tapis vert.
Une main blesse et joue la part de nous cachée.
Rien d' obscur, simple distance.
Rien de notre silence
N' atteint cette guitare
Qui de très loin se tait.
Et reste dans la mer
L' éclat de nos saisons
Qui n' ont plus de sanglots
Qui se rêvent à nouveau
Qui sont comme un sillon
Qui pèse sur le monde.
Dans l' étoffe, tous nos gestes froissés
Sont devenus des signes.
Ton sourire même est intérieur
Peut-être enfin libre de m' atteindre.
Et je chante au présent
Ton nom qui me dit oui.
Chacun a dans son coeur
Un cercle de lumière
Et sa part de sable
A l' ombre des enfants
Qui nous rejoignent en baisers doux.
Ainsi le ciel en toi se tait,
Et me donne à rêver
De ce qui t' habite.
Dans les volutes de juillet
Un enfant né
Des temps d' aurore.
Là-bas, très loin,
Dans les champs,
Avec les vagues
De marées hautes.
Martine Biard
Babi Yar
Non, Babi Yar n’a pas de monument.
Le bord du ravin, en dalle grossière.
L’effroi me prend.
J’ai l’âge en ce moment
Du peuple juif.
Oui, je suis millénaire.
Il me semble soudain-
l’Hébreu, c’est moi,
Et le soleil d’Égypte cuit ma peau mate ;
Jusqu’à ce jour, je porte les stigmates
Du jour où j’agonisais sur la croix.
Et il me semble que je suis Dreyfus,
La populace
me juge et s’offusque ;
Je suis embastillé et condamné,
Couvert de crachats
et de calomnies,
Les dames en dentelles me renient,
Me dardant leurs ombrelles sous le nez.
Et je suis ce gamin de Bialystok ;
le sang ruisselle partout.
Le pogrom.
Les ivrognes se déchaînent et se moquent,
Ils puent la mauvaise vodka et l’oignon.
D’un coup de botte on me jette à terre,
Et je supplie les bourreaux en vain-
Hurlant ’’Sauve la Russie, tue les Youpins !’’
Un boutiquier sous mes yeux viole ma mère.
Mon peuple russe ! Je t’aime, je t’estime,
Mon peuple fraternel et amical,
Mais trop souvent des hommes aux mains sales firent de ton nom le bouclier du crime !
Mon peuple bon !
Puisses-tu vivre en paix,
Mais cela fut, sans que tu le récuses :
Les antisémites purent usurper
Ce nom pompeux :’’Union du Peuple Russe’’...
Et il me semble :
Anne Franck, c’est moi ;
Transparente comme en avril les arbres,
J’aime.
Qu’importent les mots à mon émoi :
J’ai seulement besoin qu’on se regarde.
Nous pouvons voir et sentir peu de choses-
Les ciels, les arbres, nous sont interdits :
Mais nous pouvons beaucoup, beaucoup- et j’ose
T’embrasser là, dans cet obscur réduit.
On vient, dis-tu ?
N’aie crainte, c’est seulement
Le printemps qui arrive à notre aide...
Viens, viens ici.
Embrasse-moi doucement.
On brise la porte ?
Non, c’est la glace qui cède...
Au Babi Yar bruissent les arbres chenus ;
Ces arbres nous sont juges et témoins.
Le silence ici hurle.
Tête nue
mes cheveux grisonnent soudain.
Je suis moi-même
silencieux hurlement
Pour les milliers tués à Babi Yar ;
Je sens
Je suis moi-même
Je suis moi-même
chacun de ces enfants,
chacun de ces vieillards.
Je n’oublierai rien de ma vie entière ;
Je veux que l’Internationale gronde
Lorsqu’on aura enfin porté en terre
Le dernier antisémite du monde !
Dans mon sang, il n’y a pas de goutte juive,
Mais les antisémites, d’une haine obtuse comme si j’étais un Juif, me poursuivent-
Et je suis donc un véritable Russe !
Evgueni Evtouchenko
Chicago
La chanson du voyageur Aengus
J’allai jusqu’au bois de noisetier
Poussé par un feu dans mon coeur
Je taillai une ligne de noisetier
Et pendis une baie à mon fil
Et quand les phalènes reprirent leur vol
Et les étoiles filantes leurs sauts
Je plongeai la baie dans le torrent
Jusqu’à y prendre une truite d’argent
Quand je l’eus posée là par terre
J’allai pour remettre le feu en flammes
Mais quelque chose bruissait là par terre
Et quelqu’un appela mon nom :
Ce fut soudain une pétillante fille
Des fleurs de pommier aux cheveux
Qui appela mon nom puis s’en fut
Disparut dans les brumes de l’aube
Or bien que vieilli de voyages
Par basses terres et hautes terres
Je trouverai où elle se cache
J’aurai ses lèvres prendrai ses mains
Et j’irai le long des longues herbes mures
Cueillant jusqu’au bout du temps et des temps
Les pommes d’argent de la lune
Les pommes dorées du soleil.
William Butler Yeats
Elle était charmante ainsi,
Elle était charmante ainsi, et dans son regard fuyant mille choses m'apparurent, mille choses ignorées jusqu'ici. J'y vis des profondeurs inconnues, tout le charme des tendresses, toute la poésie que nous rêvons, tout le bonheur que nous cherchons sans fin. Et j'avais un désir fou d'ouvrir les bras, de l'emporter quelque part pour lui murmurer à l'oreille la suave musique des paroles d'amour.
Guy de Maupassant, Au Printemps
L'espoir
Sur la noirceur du soleil,
Sur le sable des marées
Sur le calme du sommeil
Sur mon amour retrouvé
Le soleil se lève aussi
Et plus fort que sa chaleur
Plus la vie croit en la vie
Plus s'efface la douleur
Pour ces semaines très noires,
Pour ces belles assassinées
Pour retrouver la mémoire
Pour ne jamais oublier
Il faut te lever aussi
Il faut chasser le malheur
Tu sais que parfois la vie
A connu d'autres couleurs
Et si l’espoir revenait
Tu le croiras jamais
Dans le secret, dans l'amour fou
De toutes tes forces, va jusqu'au bout
Et si l'espoir revenait ?
Sur mes doutes et ma colère
Sur les nations déchainées
Sur ta beauté au réveil
Sur mon calme retrouvé
Le soleil se lève aussi
J'attendais cette lumière
Pour me sortir de la nuit
Pour oublier cet enfer
Pour voir ce sourire d'enfant
Pour ces cahiers déchirés
Pour enfin que les amants
N'aient plus peur de s'enlacer
Le soleil se lève aussi
Le soleil se lève aussi
Le Soleil .....
Et si l’espoir revenait
Tu le croiras jamais
Dans le secret, dans l'amour fou
De toutes tes forces, va jusqu'au bout
Et si l'espoir revenait ?
Pour la noirceur du soleil
Sur le sable des marées
Pour ta beauté au réveil
Pour mon calme retrouvé
Et si l’espoir revenait
Tu ne me croiras jamais
Dans le secret, dans l'amour fou
De toutes tes forces, va jusqu'au bout
Et si l'espoir revenait ?
Bernard Lavilliers, Jeanne Cherhal