J’appelle poésie
J’appelle poésie ce qui vous frappe comme un couteau au coeur.
Cioran
Coups de cœur
J’appelle poésie ce qui vous frappe comme un couteau au coeur.
Cioran
chez moi j'ai un piano bleu
mais je ne sais aucune note.
il se tient dans le noir de la porte de la cave,
depuis le jour où le monde est devenu brutal.
les étoiles jouaient jadis à quatre mains
- la femme lune chantait dans le bateau -
maintenant des rats dansent dans sa gorge.
cassé est le clavier -
je pleure pour la mort bleue.
Ah chers anges, ouvrez-moi
- j'ai tant mangé du pain amer -
les portes du paradis pendant que je vis encore,
oui même contre les interdictions.
Else Lasker-Schüler
Celui qui a parcouru les profondeurs abyssales de l’amour,
Tour à tour dévoré par la soif
Ou s’abreuvant à la source,
Traverse sans dommage l’aridité
Ou les riches floraisons.
L’écoulement des saisons
Ne le touche point.
Au fond du gouffre de l’absence
Comme sur les cimes de l’union,
Son cœur reste serein
Et tel qu’en lui-même.
Chant XIV, 13
Hadewijch d'Anvers
Quand je l'imaginais près de moi, mon désir arrivait vite, brutal, comme une gifle, je ne perdais jamais son visage, aucun autre ne pouvant s'y substituer. J'aimais l'idée de me donner à lui et de lui faire confiance. J'aimais nos deux images réunies, elles me semblaient vraies.
Il m'arrivait encore de ressentir le vide de mon hiver, de mes heures sans fin à vouloir capturer son regard, son sourire, ses gestes. Je voulais alors le serrer contre moi, le séduire depuis mon silence
Nina Bouraoui, Appelez-moi par mon prénom
Lune, qu’elle était tendre la lune
quand il puisait l’eau dans son bassin,
et lui faisait ses adieux en partant.
Qu’il est tendre le lit, la couche, le drap
quand s’emmêlaient nos membres
dans une étreinte longue, que nous supplions l’ange de la veillée
de marcher sur son pont
de ralentir sa marche.
Qu’elles étaient tendres les étoiles - Elles chantaient
chaque fois que le soir nous réunissait
vêtus de nous-mêmes.
Adonis
Pourquoi mes vers sont-ils si loin de la mode,
Si dénués de variété, d’innovation ?
Pourquoi ne pas jeter un coup d’oeil furtif
Sur des méthodes, des combinaisons nouvelles ?
Pourquoi écrire, encore et toujours le même,
Vêtant l’invention d’un habit reconnu,
Si bien que chaque mot dit presque mon nom,
Révélant sa naissance et d’où il procède ?
Sache, doux ami, que j’écris toujours sur toi,
Que toi et l’amour sont mon sujet encore :
Mon art est d’habiller de neuf de vieux mots,
De débourser encore ce qui l’est déjà :
Car, tel le soleil tous les jours neuf et vieux,
Mon amour, encore, redit ce qui est dit.
Why is my verse so barren of new pride?
So far from variation or quick change?
Why with the time do I not glance aside
To new-found methods and to compounds strange?
Why write I still all one, ever the same,
And keep invention in a noted weed,
That every word doth almost tell my name,
Showing their birth and where they did proceed?
O, know, sweet love, I always write of you,
And you and love are still my argument;
So all my best is dressing old words new,
Spending again what is already spent:
For as the sun is daily new and old,
So is my love still telling what is told.
William Shakespeare
Le poète perce quelques trous
dans l'os du langage
pour en faire une flûte.
Ce n'est rien
mais ce rien parle de l'éternel.
Christian Bobin, Noireclaire
Nuage changeant
où le poète a mis
le mystère à l’épreuve
Appuyé sur la terre
et le silence
Nuage qui prend forme
pour éprouver l’image
Le poète a toujours
une éclaircie d’avance.
Claude Albarède