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Coups de cœur
N’allume pas la lampe
Reste. N'allume pas la lampe. Que nos yeux
S'emplissent pour longtemps de ténèbres, et laisse
Tes bruns cheveux verser la pesante mollesse
De leurs ondes sur nos baisers silencieux.
Nous sommes las autant l'un que l'autre. Les cieux
Pleins de soleil nous ont trompés. Le jour nous blesse.
Voluptueusement berçons notre faiblesse
Dans l'océan du soir morne et délicieux.
Lente extase, houleux sommeil exempt de songe,
Le flux funèbre roule et déroule et prolonge
Tes cheveux où mon front se pâme enseveli…
Ô calme soir, qui hais la vie et lui résistes,
Quel long fleuve de paix léthargique et d'oubli
Coule dans les cheveux profonds des brunes tristes.
Catulle Mendès
Je crois que l’on sent la poésie
Je crois que l’on sent la poésie comme la musique,
comme l’amour, ou comme l’amitié, ou toutes les choses du monde.
L’explication vient après.
Jorge Luis Borges
Les paveurs
Ils écrivent sur la rue :
ils assemblent
précautionneusement
des mots.
Ils les prennent
syllabe après syllabe,
ils choisissent, unissent,
complètent,
ils leurs frappent
légèrement dessus,
puis continuent.
Maillet,
sueur,
leur signature.
António Osório
Composition à la ligne noire
Une pensée m'a surgi en l'esprit aujourd'hui
Une pensée m'a surgi en l'esprit aujourd'hui
Que j' ai eue auparavant
Mais n'avais point achevée, il y a quelque temps,
Je n'ai pu fixer l'année.
Ni où elle s'en alla, ni pourquoi
Elle m'est revenue une seconde fois ;
Et de dire exactement ce qu'elle était,
Je n'en ai point l'art.
Mais quelque part dans mon âme, je le sais,
J'ai déjà rencontré la chose ;
Elle m'a fait souvenir, c'est tout,
Et vers moi n'est plus revenue.
- Emily Dickinson
Je dors en toi
Je dors en toi. Je dors toujours en toi, plus profondément en toi.
Je t’enlace, tu me pénètres des dents, des bras.
Tu as le râle des palombes.
Les yeux fermés, je vois ouverts tes yeux.
Y dérivent les rivières.
Jean Malrieu
Lontano Lontano
Et loin, très loin dans le temps,
quelque chose dans les yeux d’un autre
te fera repenser à mes yeux,
ces yeux que tu aimais tant.
Et loin, très loin dans le monde,
dans un sourire sur les lèvres d’un autre,
tu retrouveras ma timidité
dont tu te moquais si souvent.
Et loin, très loin dans le temps,
par hasard, l’expression d’un visage
te fera repenser à mon visage,
à cet air triste que tu aimais tant.
Et loin, très loin dans le monde
un soir tu seras avec un autre
et soudain, sans que tu saches ni pourquoi ni comment,
tu te mettras à lui parler de moi,
de cet amour désormais si lointain.
Luigi Tenco
Dizzy Gillespie et Stan Getz : A Night In Tunisia
Le mal d'amour
N'avoir qu'une seule pensée,
N'éprouver qu'un seul sentiment,
Avoir toujours l'âme oppressée
Par un chagrin plein d'agrément ;
Voir et sentir toujours de même
Matin et soir et nuit et jour :
Voilà comme on est quand on aime,
Voilà le mal qu'on nomme amour.
Quitter sa mie avec tristesse,
Et vouloir être au lendemain ;
La revoir avec douce ivresse,
Trembler en lui prenant la main ;
Ne parler que pour dire j'aime,
Le répéter le long du jour,
Le lendemain dire de même :
Voilà le mal qu'on nomme amour.
Regarder comme un bien suprême
La plus légère des faveurs,
Ressentir un tourment extrême
À la moindre de ses rigueurs ;
Pleurer, rire, espérer et craindre,
Jouir et souffrir tour à tour :
Si c'est un mal, faut-il s'en plaindre ?
C'est le doux mal qu'on nomme amour.
Francois-Benoit Hofffman