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poetes d'aujourd'hui

les yeux

19 Septembre 2011, 05:47am

Publié par vertuchou

Deux lueurs rouges — non, des miroirs !
Non, deux ennemis !
Deux cratères séraphins.
Deux cercles noirs

Carbonisés — fumant dans les miroirs
Glacés, sur les trottoirs,
Dans les salles infinies —
Deux cercles polaires.

Terrifiants ! Flammes et ténèbres !
Deux trous noirs.
C’est ainsi que les gamins insomniaques
Crient dans les hôpitaux : — Maman !

Peur et reproche, soupir et amen…
Le geste grandiose…
Sur les draps pétrifiés —
Deux gloires noires.

Alors sachez que les fleuves reviennent,
Que les pierres se souviennent !
Qu’encore encore ils se lèvent
Dans les rayons immenses —

Deux soleils, deux cratères,
— Non, deux diamants !
Les miroirs du gouffre souterrain :
Deux yeux de mort.

30 juin 1921.

 

Marina Tsvetaeva

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La passante

13 Septembre 2011, 05:59am

Publié par vertuchou

Hier, j'ai vu passer, comme une ombre qu'on plaint,
En un grand parc obscur, une femme voilée :
Funèbre et singulière, elle s'en est allée,
Recélant sa fierté sous son masque opalin.

Et rien que d'un regard, par ce soir cristallin,
J'eus deviné bientôt sa douleur refoulée ;
Puis elle disparut en quelque noire allée
Propice au deuil profond dont son coeur était plein.

Ma jeunesse est pareille à la pauvre passante :
Beaucoup la croiseront ici-bas dans la sente
Où la vie à la tombe âprement nous conduit;

Tous la verront passer, feuille sèche à la brise
Qui tourbillonne, tombe et se fane en la nuit ;
Mais nul ne l'aimera, nul ne l'aura comprise.

 

Emile Nelligan  

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Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

5 Septembre 2011, 05:21am

Publié par vertuchou

Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
A quoi bon puisque c'est encor
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays

Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Et leurs baisers au loin les suivent

C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
Le pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien

Dans le quartier Hohenzollern
Entre la Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais de m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent

Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons et des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke

Elle était brune et pourtant blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Et travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Et leurs baisers au loin les suivent

Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus.

 

adaptation par Léo Ferré du poème

de Louis Aragon

"Bierstube Magie allemande"

 

 

 

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Prose

1 Septembre 2011, 05:06am

Publié par vertuchou

Tu me manques mais maintenant
Pas plus que ceux que je ne connais pas
Je les invente criblant de tes faces
La terre qui fut riche en mondes
Quand chaque roi guidait une île)
A l’estime de ses biens (cendre d'
Oiseaux, manganèse et salamander)
Et que des naufragés fédéraient les bords)

Maintenant tu me manques mais
Comme ceux que je ne connais pas
Dont j’imagine avec ton visage l’impatience
J’ai jeté tes dents aux rêveries
Je t’ai traité par-dessus l’épaule

(Il y a des vestales qui reconduisent au Pacifique
Son eau fume C’est après le départ des fidèles
L’océan bave comme un mongol aux oreillers du lit
Charogne en boule et poils au caniveau de sel
Un éléphant blasphème Poséidon)

Tu ne me manques pas plus que ceux
Que je ne connais pas maintenant
Orphique tu l’es devenu J’ai jeté
Ton absence démembrée en plusieurs vals
Tu m’as changé en hôte Je sais
Ou j’invente

 

Michel Deguy

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Échardes

27 Août 2011, 05:44am

Publié par vertuchou

     I
    Cesse donc de gémir Rien de plus ridicule
    Qu'un homme qui gémit
    Si ce n'est un homme qui pleure

    II
    [...]
    Je me promène avec
    Un grand trou dans mon coeur

    III
    Crois-moi
    Rien ne fait si mal qu'on pense

    XII
    Qui dit J'ai mal
    Oublie les autres
    [ ...]   

    XVII
    La vie est pleine d'échardes

Louis Aragon


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La beauté est partout

15 Août 2011, 06:23am

Publié par vertuchou

La beauté est partout
Même
sur le sol le plus dur
le plus rebelle
la beauté est partout
au détour d'une rue
dans les yeux
sur les lèvres
d'un inconnu
dans les lieux les plus vides
où l'espoir n'a pas de place
où seule la mort
invite le cœur
la beauté est là
elle émerge
incompréhensible
inexplicable
elle surgit unique et nue -
à nous d'apprendre
à l'accueillir
en nous

Kenneth White

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La traversée

5 Août 2011, 06:16am

Publié par vertuchou

Ce n'est pas la beauté que j'ai trouvée ici,
ayant loué cette cabine de seconde
débarqué à Palerme, oublié mes soucis,
mais celle qui s'enfuit, la beauté de ce monde.

L'autre, je l'ai peut-être vue en ton visage
mais notre cours aura ressemblé à ces eaux
qui tracent leurs grands hiéroglyphes sur les plages
au sud de Naples, et que l'été boit aussitôt,

signes légers que l'on récrit sur les portières.
Elle n'est pas donnée à nous qui la forçons,
pareils à des aventuriers sur les frontières,
à des avares qui ont peur de la rançon.

Elle n'est pas non plus donnée aux lieux étranges
mais peut-être à l'attente, au silence discret,
à celui qui est oublié dans les louanges
et simplement accroît son amour en secret.

Philippe Jaccottet

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Soy un alma desnuda / je suis une âme nue

31 Juillet 2011, 06:07am

Publié par vertuchou

Soy un alma desnuda en estos versos,
Alma desnuda que angustiada y sola
Va dejando sus pétalos dispersos.
 
Je suis une âme nue dans ces vers
une âme dénudée, qui plein de peur et seule
laisse tomber ses pétales dispersées

Alma que puede ser una amapola,
Que puede ser un lirio, una violeta,
Un peñasco, una selva y una ola.

une âme qui se ressemble à une coquelicot
qui peut être un lis, une violette,
un roc, une forêt et une onde

Alma que como el viento vaga inquieta
Y ruge cuando está sobre los mares,
Y duerme dulcemente en una grieta.

Une âme qui comme le vent erre inquiète
crie quand elle se trouve sur la mer
et dort paisiblement dans la fente d'un roc

Alma que adora sobre sus altares,
Dioses que no se bajan a cegarla;.

Une âme qui sur les autels
adore les Dieux, qui ne descendront pas pour l' éblouir
une âme qui ne connaît aucun obstacle

Alma que fuera fácil dominarla
Con sólo un corazón que se partiera
Para en su sangre cálida regarla.

Une âme qu'un seul cœur pourrait dominer
s' il était seulement disposé de se fendre
pour lui offrir son sang chaud

Alma que cuando está en la primavera
Dice al invierno que demora: vuelve,
Caiga tu nieve sobre la pradera.

Une âme qui au printemps
demande l' hiver de rester : reviens,
que ta neige tombe sur les prés

Alma que cuando nieva se disuelve
En tristezas, clamando por las rosas
con que la primavera nos envuelve.

Une âme qui se dissout s' il neige
plein de deuil crie pour les roses
avec lesquelles le printemps nous entoure

Alma que a ratos suelta mariposas
A campo abierto, sin fijar distancia,
Y les dice: libad sobre las cosas.

Une âme de laquelle de temps en temps
saute des papillons au champs libres,
sans faire attention aux distances
et auxquelles elle demande de goûter les choses


Alma que nada sabe y todo niega
Y negando lo bueno el bien propicia
Porque es negando como más se entrega.

Une âme qui ne sait rien et qui nie tout
et en niant le bien elle le fait avancer
puisque c'est en niant qu'elle se dévoue le plus

Alma que suele haber como delicia
Palpar las almas, despreciar la huella,
Y sentir en la mano una caricia.

Une âme qui aime caresser les âmes
dédaigner les vestiges
et  sentir dans la main, une caresse tendre

Alma que siempre disconforme de ella,
Como los vientos vaga, corre y gira;
Alma que sangra y sin cesar delira
Por ser el buque en marcha de la
estrella.

 

Une âme qui, en désaccord avec elle même
erre comme les vents, coure et circule
une âme qui saigne et délire sans arrêt
puisqu'elle est un bateau, en marche vers
les étoiles

Alfonsina Storni

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Il y a

25 Juillet 2011, 05:47am

Publié par vertuchou

Il y a entre "nous" et "toi" ce temps étrange.

Par-delà les monts d'étain noir où l'orage a planté ses lances

Il y a cette épaisse nuit, gorgée de feuillage, d'humide

Et tout un bruissement secret de fers, de peurs, de boucliers.

Je voudrais retrouver l'aurore intacte par-dessous ta tête

Mais je ne sais si la mésange aura passé le dur minuit

Ni si, de son bec entrouvert, tombera le fil du soleil.

Luc Bérimont

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Les chants des hommes

22 Juillet 2011, 06:42am

Publié par vertuchou

Les chants des hommes sont plus beaux qu'eux-mêmes
plus lourds d'espoir
plus tristes
plus durables
Plus que les hommes j'ai aimé leurs chants
J'ai pu vivre sans les hommes
jamais sans les chants
Il m'est arrivé d'être infidèle à ma bien-aimée
jamais au chant que j'ai chanté pour elle
Jamais non plus les chants ne m'ont trompé.
Quel que soit leur langage
J'ai toujours compris tous les chants
Rien en ce monde
De tout ce que j'ai pu boire et manger
De tous les pays où j'ai voyagé
De tout ce que j'ai pu voir et entendre
De tout ce que j'ai pu toucher et comprendre
Rien Rien
Ne m'a rendu jamais aussi heureux
que les chants ...

 

Nazim Hikmet

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