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emois

Elle était presque arrivée

30 Juillet 2023, 01:35am

Publié par vertuchou

Elle était presque arrivée quand les nuages s’épaissirent jusqu’à former une dalle sombre. Elle se mit à courir. Puis s’arrêta. Ses chaussures. Elle ne pouvait pas se permettre de les abîmer. Elle les retira, les glissa sous son manteau et continua à marcher sous la pluie, prenant l’embranchement qui coupait à travers bois. Aller pieds nus ne la gênait pas : elle avait fait ça toute sa vie, ses pieds étaient endurcis. Froids et presque engourdis à présent, mais endurcis. Elle avait les cheveux, les épaules et le dos de plus en plus trempés, mais marcher la réchauffait. Elle ralentit et traversa précautionneusement les tapis d’herbes gorgés d’eau. On n’entendait que le tambourin de la pluie sur les feuilles luisantes. Elle s’immobilisa. Il y avait là comme une présence, avec elle, autour d’elle, tourbillonnante et bouillonnante d’énergie. Les arbres étreignaient la terre avec tant d’intimité. Quel délice d’en faire ainsi partie intégrante. Elle ferma les yeux et se sentit appelée. Son esprit se déversa dans l’air comme un chant. Attends ! Elle ouvrit les yeux et ramena son poids dans ses pieds froids. C’était sans doute ce que vivait Gerald quand il survolait la terre. Parfois elle se faisait peur.

Louise Erdrich, Celui qui veille.

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Tu ressens un dégoût

22 Juillet 2023, 01:33am

Publié par vertuchou

Tu ressens un dégoût pour cette bouche obscène mais aussi une attirance, alors tu t'inclines et plonges, tu poses tes lèvres sur la vulve qui s'élargit et t'accueille et tu sens une vague de myrrhe, d'oubli, d'ambre et de henné. Une liqueur s'épanche que tu devines pouvoir boire comme le vin, alors tu lapes, et ta langue insiste avec intelligence, investit la blessure, tu as le désir fou de cautériser cette plaie de ta salive, de la nettoyer tout entière, et ce faisant la blessure s'ouvre davantage et Shamat soupire, t'encourage, de ses reins plus fort appuie contre toi et tu la saisis au creux des mains, ses fesses soulevées par la force, tu la portes comme la coupe à tes lèvres, ta langue s'insinue, fouille, explore, suce, ta langue qui sait dire les mots fait surgir des délires, la courtisane parle, halète et rugit, elle t'empoigne aux cheveux et t'oblige. Ton visage enfle entre ses cuisses, elle se dilate jusqu'au démembrement, t'enfonce en elle et tu t'abîmes dans des chairs mouillées, sanguines, souples et grisantes. Elle échappe un râle, puis un autre, essaye de te repousser pour mieux t'attirer encore et te fondre en elle. Puis elle recommence. Tu la bois, tu la dévores, elle dit non et oui, arrête et encore, mais tu ne sais rien de tels mots et tu t'abîmes toujours dans le festin de ses replis. Enfin, elle défaille, tu sens entre tes mains son corps tressaillir, puis fondre et peser. Tu la reposes.

Christian Chavassieux, La Joyeuse.

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Quand elle dormait ainsi

14 Juillet 2023, 01:32am

Publié par vertuchou

Quand elle dormait ainsi, sa tête appuyée contre un de mes bras, je me penchais sur elle pour voir son visage entouré de flammes. C'était jouer avec le feu. Un jour que je m'approchais trop sans pourtant que mon visage touchât le sien, je fus comme l'aiguille qui dépasse d'un millimètre la zone interdite et appartient à l'aimant. Est-ce la faute de l'aimant ou de l'aiguille ? C'est ainsi que je sentis mes lèvres contre les siennes. Elle fermait encore les yeux, mais visiblement comme quelqu'un qui ne dort pas. Je l'embrassai, stupéfait de mon audace, alors qu'en réalité c'était elle qui, lorsque j'approchais de son visage avait attiré ma tête contre sa bouche.

Raymond Radiguet, Le diable au corps.

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Rien n'a égalé cet instant-là.

6 Juillet 2023, 01:44am

Publié par vertuchou

Rien n'a égalé cet instant-là. Pas même ce que tu as réussi à faire avec moi, le souffle court et tout enfiévrée, après que j'ai répondu à ta question suivante, tes doigts et ta bouche si chauds sur moi que je ne savais plus ce qui était toi et ce qui était moi, ce que je n'avais encore permis à aucun garçon parce qu'aucun n'avait demandé si joyeusement, si délicatement mon aide, pas même cela, notre "tout-sauf", notre "pas-jusqu'au-bout" terrifiant et vertigineux rien n'égalait pour moi cette image de toi te tordant de rire. Je ne te l'ai jamais dit, même après t'avoir répété je t'aime tellement de fois ce jour-là, je ne t'ai jamais dis que le grand éblouissement avait été cet instant-là, avant : nous deux riant comme des baleines, ensemble - ensemble comme tout le monde nous disait de ne pas l'être. Je ne te l'ai jamais dit, c'était trop intense, trop fort. Je le peux seulement maintenant, les yeux brûlants de larmes chez Leopardi avec mon ami retrouvé, et c'est une chose à voir seulement dans la lumière de ce matin où nous échangions le même émerveillement.

Daniel Handler, Inventaire après rupture.

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Rainer

24 Juin 2023, 01:43am

Publié par vertuchou

Rainer, si je veux aller à toi, c'est aussi pour ma nouvelle moi, qui ne saurait naître qu'avec toi, en toi. Et alors,Rainer (Rainer, le leitmotiv de ma lettre), je veux dormir avec toi, m'endormir et dormir avec toi. Cette merveilleuse expression populaire, comme elle est vraie, profonde, sans équivoque, comme elle dit bien ce qu'elle dit. Simplement dormir. Rien de plus. Si pourtant : enfouir ma tête dans ton épaule gauche, passer mon bras sur ton épaule droite - rien de plus. Si pourtant : savoir, jusqu'au plus profond du sommeil, que c'est toi. Et encore : comment ton coeur sonne. Et - baiser ton coeur. […]”

Lettre de Marina Tsvetaïeva à Rainer Maria Rilke - Saint Gilles sur Vie, le 2 août 1926

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Victoire

16 Juin 2023, 01:42am

Publié par vertuchou

Victoire, ton visage est tout près du mien, je sens ton souffle. Il est frais, presque froid. Je ne comprends pas tes mots, mais ils sont doux, tellement. Je plonge dans tes yeux et me noie dans ton regard. Tu m'accueilles, et par ta grâce, le ciel s'ouvre pour nous seules, et nous dansons, dansons, si étroitement enlacées que nos corps ne font qu'un.
Notre peau dans le ciel si clair.
Nos yeux. Je les ferme.
Je suis le ciel.
Je suis toi.


Léonor de Récondo,  Amours

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Poétesse, sens-tu

8 Juin 2023, 01:41am

Publié par vertuchou

Poétesse, sens-tu à quel point tu t’es emparée de moi, toi et ton magnifique compagnon de lecture, voici que j’écris comme toi, comme toi je descends les quelques marches menant de la phrase à l’entresol des parenthèses où les plafonds sont si bas et où ça sent les roses anciennes, qui ne cessent jamais. Marina : comme j’ai habité ta lettre.

Lettre de Rainer Maria Rilke à Marina Tsvétaïeva, 10 mai 1926.

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Nous éclatons de rire

26 Mai 2023, 01:48am

Publié par vertuchou

Nous éclatons de rire. Nous nous allongeons ensemble et faisons l’amour, doucement, tendrement, nous nageons en plein amour, et pour la première fois, l’orgasme m’envahit par surprise, sans que j’y pense, presque paisiblement, comme une aube qui se lève lentement, un lent épanouissement né de l’abandon, de la décontraction, né du non-être. Aucun effort pour l’atteindre. Tombant comme la pluie, noyant l’esprit et le faisant fleurir.

Anaïs Nin, Journal 1932-1934.

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elle me sortait d’un monde

18 Mai 2023, 01:46am

Publié par vertuchou

(…) elle me sortait d’un monde où je n’avais pas vécu pour me lancer dans un monde où je ne vivais pas encore; les lèvres entrouvrirent les miennes, mouillèrent mes dents. La langue trop charnue m’effraya : le sexe étrange n’entra pas. J’attendais absente et recueillie. Les lèvres se promenèrent sur mes lèvres. Mon cœur battait trop haut et je voulais retenir ce scellé de douceur, ce frôlement neuf. Isabelle m’embrasse, me disais-je. Elle traçait un cercle autour de ma bouche, elle encerclait le trouble, elle mettait un baiser frais dans chaque coin, elle déposait 2 notes piquées, elle revenait, elle hivernait. Mes yeux étaient gros d’étonnement sous mes paupières, la rumeur des coquillages trop vaste. Isabelle continua : nous descendions nœud après nœud dans une nuit au-delà de la nuit du collège, au delà de la nuit de la ville, au delà de la nuit du dépôt des tramways. Elle avait fait son miel sur mes lèvres, les sphinx se rendormaient.

Violette Leduc,  La bâtarde.

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Il la prit dans ses bras

10 Mai 2023, 01:49am

Publié par vertuchou

Il la prit dans ses bras et l’embrassa comme un con, le grand jeu, il était comme fou, il lui enfonçait sa langue dans la bouche, c’était comme un duel à l’épée, il la tenait de façon théâtrale, légèrement penchée en arrière, il l’écrasait contre lui sans la peloter, les yeux fermés, au bout d’un petit moment il essaya de se concentrer sur le baiser, c’était un drôle de truc, désagréable en lui-même, mais on pouvait s’y faire c’était marrant.

Philippe Djian, Bleu comme l’enfer

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