/https%3A%2F%2Fassets.over-blog.com%2Ft%2Fdelicate%2Fimages%2Fheader%2Fheader.jpg)
Coups de cœur
Descendre au jardin
Il avait si peur de la nuit
qu’il courut s’abriter
dans le verger
et la nuit le suivait.
Il sauta le ruisseau,
traversa la forêt
et la nuit le touchait.
Il se blottit dans le gîte d’un lièvre.
Tout près, tout près,
la nuit contre lui tremblait.
Il s’enferma dans le bleu d’une étoile,
dans le cri d’une effraie
et tendrement la nuit l’embrassait.
Alors, il ferma les yeux à demi
et la nuit fut en lui.
André Rochedy
Ils se regardent
Ils se regardent, se regardent jusqu'aux larmes. Et pour la première fois de sa vie
elle dit les mots convenus pour le dire - les mots des livres, du cinéma, de la vie,
de tous les amants.
- Je vous aime.
Marguerite Duras, L'amant de la Chine du Nord
Qu’ils meurent tous
Quoi qu’on écrive tout est futile emporté
Dans le grand courant, laissez-les faire à leur guise
Dans une grande explosion
Tous les humains du monde
Qu’ils deviennent des graillons noircis
Et qu’ils meurent tous dit-elle,
fixant un point de ses yeux vides
Du fond de ses yeux, sans fin, les larmes coulaient
Moi incapable
de rien dire en silence je pleurais
Shinoe Shôda
Chi d'Amor tra le catene
Giovanni Bononcini (1670-1747), Chi d'amor trà le catene. Op. 8, no 1, duo vocal, 1691. Interprétation : Philippe Jaroussky et Max Emanuel Cencic
Chants des moissons
Il est un faucheur…
Il est un faucheur, c’est la mort,
Il fait les foins quand Dieu le veut ;
Vois-le fourbir sa faux,
Qu’elle brille en fauchant,
Car bientôt il te fauche,
Et tu le dois souffrir ;
Tu composeras sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Ce qui fleurit en ce jour d’hui,
Demain déjà sera fauché ;
Et vous, nobles narcisses,
Et vous, douces mélisses,
Liserons languissants,
Jacinthes des douleurs,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Nombres infinis, mille et cent,
Qui sous sa faux devrez périr !
Hélas ! roses et lis,
Basilics crépelus !
Même vous, fritillaires,
Ne serez épargnées :
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Et toi, véronique azurée,
Pavot rêveur, jaune, rouge ou blanc,
Renoncule, auricule,
Œillets étincelants ;
Et vous, nards, malvacées,
Qui n’attendrez long temps,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Tulipes des champs colorés,
Et toi, merveilleux floramour,
Et vous, de sang parentes,
Très rouges amarantes,
Vous, tendres violettes,
Pieuses camomilles,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Ô pied-d’alouette orgueilleux,
Ô coquelicots dans les blés,
Ô roses d’Adonis,
Et vous, sceaux de Salomon,
Et vous, bleuets bleutés,
Vous faut-il l’avertir ?
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Ne-m’oublie-pas, douce pensée,
Il sait bien ce que dit ton nom ;
Myrte des fiancées,
Abreuvé des soupirs,
Vous aussi, immortelles,
Il vous abattra toutes !
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Arme et trésor du vert printemps,
Sceptres d’or, corolles sans nombre,
Ô glaives et sagettes,
Ô lances et carreaux,
Crêtes, porte-drapeaux
D’innombrables ancêtres,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Joyau prairial du beau mai,
Couronne ornée et arrosée,
Cœurs qui vous enlacez,
Ô langues et flammèches,
Doigts auxquels on enfile
De ces brillants anneaux,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Corselets veloutés des roses,
Ô des lis voilettes soyeuses,
Séduisantes clochettes,
Hélices et aigrettes,
Ô grappes et calices,
Ô palmes et cornettes,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Conforte-toi, mon cœur, le temps
De la délivrance est venu !
Ô serpents et dragons,
Gueules frangées de dents,
Ô chevilles et cierges,
Les chiffres du martyre,
Vous composerez sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Ô peine intime, apprête-toi !
Le réconfort de ta parure,
Les soupirs qui embaument
Des calices amers,
Les vrilles d’espérance
Des chétives idées
Or composeront sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Avettes, laissez là les champs,
Tôt vos rayons seront brisés !
Et les fonts des délices,
Les regards, les soleils,
Ce miracle des astres
S’éteindront en ce temps
Et composeront sa couronne,
Garde-toi, belle fleurette !
Ô étoile et fleur, souffle et chair,
Peine, amour, temps, éternité,
Tressons cette couronne
Et lions cette gerbe !
Que nulle fleur ne manque !
Le Seigneur sur son aire
Comptera les grains un à un,
Garde-toi, belle fleurette !
Ce qui a mûri…
Ce qui a mûri en ces lignes
Et y sourit en sa supplique
Ne troublera pas l’enfant :
La simplicité l’aura semé,
La douleur l’aura parcouru,
Le languir l’aura porté ;
Et quand le champ sera fauché,
Pauvreté ira par les chaumes
Pour chercher de ces épis,
Amour, qui pour elle a péri,
Amour, qui comme elle est rené,
Amour, qui bien voudra d’elle ;
En ce temps, très seule et très humble,
Qu’elle aura su prier la nuit,
Égrenant grain après grain,
Lorsque le coq aura chanté,
L’œuvre d’amour, la peine enfuie
S’inscriront sur ce calvaire :
Ô étoile et fleur, souffle et chair,
Peine, amour, temps, éternité !
Clemens Brentano
Qui a travaillé ... ?
Qui a travaillé de nuit pour empêcher l'arrêt du cœur du monde ?
Nous les poètes.
Izet Sarzjlic
Écoute
je vole dans les nuits
les roses de ta bouche,
afin qu'aucune femelle ne puisse y boire.
Celle qui t'enlace
me dépouille de mes frissons,
ceux que j'avais peint sur tes membres.
je suis la bordure de route
qui t'effleure,
te jette à terre.
Sens-tu ma vie autour
partout
comme un bord lointain ?
Else Lasker-Schüler
Inhancutilitatem
Hymne
A la très chère, à la très belle
Qui remplit mon cœur de clarté,
A l'ange, à l'idole immortelle,
Salut en l'immortalité !
Elle se répand dans ma vie
Comme un air imprégné de sel,
Et dans mon âme inassouvie
Verse le goût de l'éternel.
Sachet toujours frais qui parfume
L'atmosphère d'un cher réduit,
Encensoir oublié qui fume
En secret à travers la nuit,
Comment, amour incorruptible,
T'exprimer avec vérité ?
Grain de musc qui gis, invisible,
Au fond de mon éternité !
A la très bonne, à la très belle
Qui fait ma joie et ma santé,
A l'ange, à l'idole immortelle,
Salut en l'immortalité !
Charles Baudelaire