Pianology
Pianology 1
extrait de Pianology
(1987)
Ketil Bjørnstad
(1952- )
Coups de cœur
Pianology 1
extrait de Pianology
(1987)
Ketil Bjørnstad
(1952- )
Deux lueurs rouges — non, des miroirs !
Non, deux ennemis !
Deux cratères séraphins.
Deux cercles noirs
Carbonisés — fumant dans les miroirs
Glacés, sur les trottoirs,
Dans les salles infinies —
Deux cercles polaires.
Terrifiants ! Flammes et ténèbres !
Deux trous noirs.
C’est ainsi que les gamins insomniaques
Crient dans les hôpitaux : — Maman !
Peur et reproche, soupir et amen…
Le geste grandiose…
Sur les draps pétrifiés —
Deux gloires noires.
Alors sachez que les fleuves reviennent,
Que les pierres se souviennent !
Qu’encore encore ils se lèvent
Dans les rayons immenses —
Deux soleils, deux cratères,
— Non, deux diamants !
Les miroirs du gouffre souterrain :
Deux yeux de mort.
30 juin 1921.
Marina Tsvetaeva
Hello darkness, my old friend
I've come to talk with you again
Because a vision softly creeping
Left its seeds while I was sleeping
And the vision that was planted in my brain
Still remains
Within the sound of silence
In restless dreams I walked alone
Narrow streets of cobblestone
'Neath the halo of a street lamp
I turned my collar to the cold and damp
When my eyes were stabbed by the flash of a neon light
That split the night
And touched the sound of silence
And in the naked light I saw
Ten thousand people maybe more
People talking without speaking
People hearing without listening
People writing songs that voices never shared
No one dared
Disturb the sound of silence
"Fools," said I, "you do not know
Silence like a cancer grows
Hear my words that I might teach you
Take my arms that I might reach you"
But my words like silent raindrops fell
And echoed in the wells of silence
And the people bowed and prayed
To the neon god they made
And the sign flashed out its warning
In the words that it was forming
And the sign said "The words of the prophets are written on the subway walls
And tenement halls
And whispered in the sound of silence
Paul Simon et Arthur Garfunkel
extrait de l'album "Wednesday Morning, 3 AM."
1964
Madame la Misère écoutez le vacarme
Que font vos gens le dos voûté la langue au pas
Quand ils sont assoiffés il se soûlent de larmes
Quand ils ne pleurent pas ils crèvent sous le charme
De la nature et des gravats
Ce sont des suppliciés au ventre translucide
Qui vont sans foi ni loi comme on le dit parfois
Régler son compte à Monseigneur Ephéméride
Qui a pris leur jeunesse et l'a mise en ses rides
Quand il ne leur restait que ça
Madame la Misère écoutez le tumulte
Qui monte des bas-fonds comme un dernier convoi
Traînant des mots d'amour avalant les insultes
Et prenant par la main leurs colères adultes
Afin de ne les perdre pas
Ce sont des enragés qui dérangent l'histoire
Et qui mettent du sang sur les chiffres parfois
Comme si l'on devait toucher du doigt pour croire
Qu'un peuple heureux rotant tout seul dans sa mangeoire
Vaut bien une tête de roi
Madame la Misère écoutez le silence
Qui entoure le lit défait des magistrats
Le code de la peur se rime avec potence
Il suffit de trouver quelques pendus d'avance
Et mon Dieu ça ne manque pas
Léo Ferré
Je veille sur son sommeil, et elle ne le sait pas,
et je dis son nom aux arbres confidents,
et je leur dis, fou des longs cils recourbés,
que j’aime et j’aime celle que j’aime,
et qui m’aimera, car je l’aime
comme nul autre ne saura,
et pourquoi ne m’aimerait-elle pas,
celle qui d’amour peut aimer un crapaud,
et elle m’aimera, m’aimera, m’aimera,
la non-pareille m’aimera,
et chaque soir j’attends.
Albert Cohen
Marc-Antoine Charpentier
1643-1704
Magnificat à trois voix H.73
interprété par
Dominique Visse, contre-ténor
Michel Laplénie, ténor
Philippe Cantor, basse
sous la direction de
William Christie
Les Arts Florissants
Hier, j'ai vu passer, comme une ombre qu'on plaint,
En un grand parc obscur, une femme voilée :
Funèbre et singulière, elle s'en est allée,
Recélant sa fierté sous son masque opalin.
Et rien que d'un regard, par ce soir cristallin,
J'eus deviné bientôt sa douleur refoulée ;
Puis elle disparut en quelque noire allée
Propice au deuil profond dont son coeur était plein.
Ma jeunesse est pareille à la pauvre passante :
Beaucoup la croiseront ici-bas dans la sente
Où la vie à la tombe âprement nous conduit;
Tous la verront passer, feuille sèche à la brise
Qui tourbillonne, tombe et se fane en la nuit ;
Mais nul ne l'aimera, nul ne l'aura comprise.
Emile Nelligan
Passion lointaine, passion mortelle
tu me lacères par jet continu
je macère tes mots
comme un condamné
buvant la dernière coupe
goutte à goutte
le poison de la passion
prend possession de mon corps
comme tu as prise sur mon âme
Eros et Thanatos
nous sommes possédés
nous sommes damnés
envahis lentement
par le poison de la folie
de la tienne et de la mienne
Je suis fait d'ombre et de marbre.
Comme les pieds noirs de l'arbre,
Je m'enfonce dans la nuit.
J'écoute ; je suis sous terre ;
D'en bas je dis au tonnerre :
Attends ! ne fais pas de bruit.
Moi qu'on nomme le poëte,
Je suis dans la nuit muette
L'escalier mystérieux ;
Je suis l'escalier Ténèbres ;
Dans mes spirales funèbres
L'ombre ouvre ses vagues yeux.
Les flambeaux deviendront cierges.
Respectez mes degrés vierges,
Passez, les joyeux du jour !
Mes marches ne sont pas faites
Pour les pieds ailés des fêtes,
Pour les pieds nus de l'amour.
Devant ma profondeur blême
Tout tremble, les spectres même
Ont des gouttes de sueur.
Je viens de la tombe morte ;
J'aboutis à cette porte
Par où passe une lueur.
Le banquet rit et flamboie.
Les maîtres sont dans la joie
Sur leur trône ensanglanté ;
Tout les sert, tout les encense ;
Et la femme à leur puissance
Mesure sa nudité.
Laissez la clef et le pène.
Je suis l'escalier ; la peine
Médite ; l'heure viendra ;
Quelqu'un qu'entourent les ombres
Montera mes marches sombres,
Et quelqu'un les descendra.
Victor Hugo