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Coups de cœur
Marie, levez-vous
Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse :
Jà la gaie alouette au ciel a fredonné,
Et jà le rossignol doucement jargonné,
Dessus l'épine assis, sa complainte amoureuse.
Sus ! debout ! allons voir l'herbelette perleuse,
Et votre beau rosier de boutons couronné,
Et vos oeillets mignons auxquels aviez donné,
Hier au soir de l'eau, d'une main si soigneuse.
Harsoir en vous couchant vous jurâtes vos yeux
D'être plus tôt que moi ce matin éveillée :
Mais le dormir de l'Aube, aux filles gracieux,
Vous tient d'un doux sommeil encor les yeux sillée.
Çà ! çà ! que je les baise et votre beau tétin,
Cent fois, pour vous apprendre à vous lever matin.
Pierre de Ronsard
Le poème lui-même
Le poème lui-même est un objet résistant : il se maintient à travers le temps,
il peut être relativement obscur, et s'enroule parfois en énigme, car il fait le difficile
il dit ce qui est difficile, à vivre, à faire, à écrire.
En lui quelque chose résiste qui s'appelle peut-être sens ou espoir.
jean-Michel Maulpoix
Quelque part...
Quelque part dans une maison calme
le soleil passe à travers les volets
et la poussière se croyant seule se met à danser
sans autre bruit que celui que fait un insecte.
Il y a bien au loin le cri d’un enfant
ou celui d’un chien oppressé de solitude.
Il y a bien, dans l’herbe, le pas d’une source
où la mer vient, en se cachant, prendre pied.
Il n’y a plus soudain dans le jour immense
qu’un bourdon désorienté qui se cogne aux carreaux
qu’un oiseau brûlé de soleil
qui retombe comme une feuille au milieu des blés.
Et la chambre plus profonde que le monde
se tient dans l’ombre auprès de la porte
avec un cœur qui a cessé de battre
parce qu’il n’y a plus de soleil dans les volets.
Lucien Becker
Aria (alto) : Zum reinen Wasser er mich weist (Il me mène à l'eau pure)
Johann Sebastian Bach, Cantate BWV 112, Der Herr ist mein getreuer Hirt (Le Seigneur est mon bon berger)
Epigramme XII
Hier la langue me fourcha,
Devisant avec Antoinette ;
Je dis f..tre, et ceste finette
Me fît la mine , et se fascha :
Je déchus de tout mon crédit,
Et vis, à sa couleur vermeille,
Qu'elle aimoit ce que j'avois dit,
Mais en autre part qu'en l'oreille.
Mathurin Régnier
Il leur arriva ce qui arrive à un homme et une femme
Il leur arriva ce qui arrive à un homme et une femme entre qui s'installe le feu. Très vite, ils ne se rappelèrent plus avoir connu autrefois le plaisir, ils oublièrent les limites de leur propre corps et les termes de pudeur ou d'audace devinrent aussi abstraits l'un que l'autre.
L'idée qu'ils devraient se quitter, dans une heure ou deux, leur semblait d'une immortalité révoltante. Ils savaient déjà qu'aucun geste de l'autre ne saurait jamais être gênant, ils murmuraient en les redécouvrant les mots crus, maladroits et puérils de l'amour physique et l'orgueil, la reconnaissance du plaisir donné, reçu, les rejetaient sans cesse l'un vers l'autre.
Ils savaient aussi que ce moment était exceptionnel et que rien de mieux ne pouvait être donné à un être humain que la découverte de son complément.
Imprévisible, mais à présent inéluctable, la passion physique allait faire,de ce qui aurait pu être, entre eux, une passade - une véritable histoire.
Françoise Sagan, La chamade
Le jour de ma mort
Dans une ville, Trieste ou Udine,
le long d’une allée de tilleuls,
au printemps quand les feuilles
changent de couleur,
je tomberai mort
sous le soleil qui brûle
blond et haut,
et je fermerai les yeux,
laissant le ciel à sa splendeur.
Sous un tilleul tiède de verdure
je tomberai dans le noir
de ma mort qui dispersera
les tilleuls et le soleil.
Les beaux jeunes garçons
courront dans cette lumière
que je viendrai de perdre,
essaimant des écoles,
les boucles sur le front.
Je serai encore jeune
en chemise claire,
les cheveux tendres en pluie
sur la poussière amère.
Je serai encore chaud,
et courant sur l’asphalte
tiède de l’allée,
un enfant posera sa main
sur mon ventre de cristal.
Pier Paulo Pasolini
Margy Cato
L'alchimiste
Un étrange sourire mourant sur ses lèvres,
il poussa l'alambic aux vapeurs apaisées.
II savait maintenant ce qui manquait encore
pour qu'y naisse l'objet sublime.
Il lui fallait du temps, du temps - des millénaires
pour lui et la cornue qui bouillonnait ;
dans le cerveau des astres
et dans la conscience à tout le moins la mer.
La chose inouïe qu'il avait désirée,
il la lâcha cette nuit-là. Elle revint
à Dieu et à son antique mesure ;
mais lui, balbutiant comme un ivrogne,
penché sur la case secrète, il convoitait
la parcelle d'or qui lui revenait.
Rainer Maria Rilke