Souffle le vent d'automne
Souffle le vent d'automne
Nous sommes vivants
Et pouvons nous voir
Toi et Moi
Basho
Coups de cœur
Souffle le vent d'automne
Nous sommes vivants
Et pouvons nous voir
Toi et Moi
Basho
Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j’ai vu battre le coeur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu’un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu’il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l’ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux
Roule au loin roule train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur
Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous faite de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Vous étirez vos bras vous retrouvez le jour
Arrêt brusque et quelqu’un crie Au jus là-dedans
Vous baillez Vous avez une bouche et des dents
Et le caporal chante Au pont de Minaucourt
Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri.
Louis Aragon
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire
Papillon voltige
Dans un monde
Sans espoir.
Issa Kobayashi
Lorsque le soir descend, j’aime entendre les vagues
Expirer sur la grève avec des sanglots vagues,
Tandis qu’un rayon pâle égaré dans les cieux
Mêle son reflet clair au bleu triste des ondes
Et brode un ourlet d’or sur les nappes profondes
Qui jettent leur chanson dans l’air silencieux.
J’aime entendre le vent qui s’irrite ou qui pleure
Et qui parle dans l’ombre aux branches qu’il effleure
D’un baiser qui les fait frémir et s’agiter ;
J’aime écouter, pensif, la voix subtile et douce
D’un insecte azuré qui dit aux brins de mousse
Ce que nul être humain ne saurait répéter.
J’aime entendre le chant limpide de la source
Qui sur un lit de sable accélère sa course
Et s’enfuit vers un but qu’elle ne connaît pas.
J’aime entendre le cri superbe du tonnerre,
Lorsque du haut du ciel il s’adresse à la terre
Qui l’écoute soumise et tremble à ses éclats.
J’aime écouter, la nuit, tout seul devant l’espace.
Le doux bruissement du silence qui passe
Et la vague chanson qui s’échappe du ciel,
Mystiques entretiens des sphères suspendues,
Comme des lampes d’or, aux mornes étendues
Où le froid et la nuit ont leur règne éternel.
Oh ! que l’homme apprendrait de choses merveilleuses
S’il percevait le sens des voix mystérieuses
Qu’il entend s’élever à chacun de ses pas !
Mais cet hymne sacré que chante la nature
Est pour l’esprit humain d’une essence trop pure ;
Il peut le pressentir, il ne le comprend pas.
12 janvier 1882.
Alice de Chambrier
Bleu reflet qui s'irise,
Un papillon nacré
Emporté par la brise
Luit, brille, disparait.
Tel, d'une aile légère,
Le bonheur est venu
Puis a, fleur éphémère,
Lui, brillé, disparu.
Herman Hesse
C’était un très bon petit chat
Joueur à la prunelle bleue
Il n’en voulait pas, qu’on marchât
Un peu brusquement sur sa queue.
Stéphane Mallarmé
Le vin sait revêtir le plus sordide bouge
D'un luxe miraculeux,
Et fait surgir plus d'un portique fabuleux
Dans l'or de sa vapeur rouge,
Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.
L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,
Allonge l'illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l'âme au delà de sa capacité.
Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers...
Mes songes viennent en foule
Pour se désaltérer à ces gouffres amers.
Tout cela ne vaut pas le terrible prodige
De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remord,
Et, charriant le vertige,
La roule défaillante aux rives de la mort !
Charles Baudelaire
Je fuis la ville, et temples, et tous lieux
Esquels, prenant plaisir à t'ouïr plaindre,
Tu pus, et non sans force, me contraindre
De te donner ce qu'estimais le mieux.
Masques, tournois, jeux me sont ennuyeux,
Et rien sans toi de beau ne me puis peindre;
Tant que, tâchant à ce désir étreindre,
Et un nouvel objet faire à mes yeux,
Et des pensers amoureux me distraire,
Des bois épais suis le plus solitiare.
Mais j'aperçois, ayant erré maint tour,
Que si je veux de toi ëtre délivre,
Il me convient hors de moi-mëme vivre;
Ou fais encor que loin sois en séjour.
Louise Labé
A J.
Quand nous parcourions la plage normande,
Tu m'as dit un jour, un jour de printemps :
« Sais-tu bien, ami, ce que je demande,
Parmi tant de vœux dans l'esprit flottants ?
Indéfiniment sur la même grève,
Au même rocher par les flots battu,
Près de toi m'asseoir pour le même rêve ! »
— Ces mots adorés, les redirais-tu ?
Quand nous voyagions dans les Pyrénées,
Tu m'as dit un jour, un beau jour d'été
« Oh ! voir avec toi s'enfuir les journées !
Te sentir ainsi seul à mon côté !
Sans que rien nous lasse et nous décourage,
Ensemble gravir des pics ignorés,
Et, d'un même cœur, y braver l'orage ! »
— Les redirais-tu, ces mots adorés ?
Aux bois du Morvan, quand sèchent les chênes,
Tu m'as dit un jour d'octobre brumeux :
« Nous aurons aussi nos bises prochaines,
Et nous vieillirons, dépouillés comme eux ;
Mais qu'importe au front que demain soit sombre,
Si le souvenir garde sa vertu ?
Qu'importe avec toi le soleil ou l'ombre ? »
— Ces mots adorés, les redirais-tu ?
Quand, rentrés au nid, nous lisions ensemble,
Tu m'as dit un soir, un long soir d'hiver :
« Vivre ainsi toujours, ami, que t'en semble ?
Nous chauffer toujours à ce feu si clair ?
Et, lorsqu'il faudra déployer la voile
Pour conduire ailleurs nos cœurs préparés,
Débarquer tous deux dans la même étoile ! »
— Les redirais-tu, ces mots adorés ?
Eugène Manuel