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Coups de cœur
Elégie à une dame
...
Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par de petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l’eau,
Ouïr comme en songeant la course d’un ruisseau,
Écrire dans les bois, m’interrompre, me taire,
Composer un quatrain, sans songer à le faire.
Après m’être égayé par cette douce erreur,
Je veux qu’un grand dessein réchauffe ma fureur,
Qu’un œuvre de dix ans me tienne à la contrainte,
De quelque beau Poème, où vous serez dépeinte :
Là si mes volontés ne manquent de pouvoir,
J’aurai bien de la peine en ce plaisant devoir.
En si haute entreprise où mon esprit s’engage,
Il faudrait inventer quelque nouveau langage,
Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux
Que n’ont jamais pensé les hommes et les Dieux.
Théophile de Viau
Bonheur
Et elle se mit à rire de nouveau, de son rire de pluie fraîche.
Maintenant qu'il l'avait rejointe, elle marchait à côté de lui
d'un bon pas. Grange la regardait quelquefois à la dérobée ;
derrière le bord du capuchon, il ne voyait que le nez et la bouche,
tout vernissés d'eau, que le court menton buté tendait à la pluie,
mais il était remué de la sentir auprès de lui, jeune et saine,
souple comme un faon, dans la bonne odeur de laine mouillée.
D’elle-même elle s'était mise à son pas : c'était doux comme si
elle se fût appuyée sur lui. Parfois elle tournait un peu la tête,
et faisait glisser un instant le bord du capuchon sombre
sur ses yeux couleur d’éclaircie, leurs regards se croisaient,
et ils riaient un peu sans rien dire, d'un rire de pur contentement.
Julien Gracq, Un balcon en forêt
L’Etrangère
Il existe près des écluses
Un bas quartier de bohémiens
Dont la belle jeunesse s'use
À démêler le tien du mien
En bande on s'y rend en voiture,
Ordinairement au mois d'août,
Ils disent la bonne aventure
Pour des piments et du vin doux
On passe la nuit claire à boire
On danse en frappant dans ses mains,
On n'a pas le temps de le croire
Il fait grand jour et c'est demain.
On revient d'une seule traite
Gais, sans un sou, vaguement gris,
Avec des fleurs plein les charrettes
Son destin dans la paume écrit.
J'ai pris la main d'une éphémère
Qui m'a suivi dans ma maison
Elle avait des yeux d'outremer
Elle en montrait la déraison.
Elle avait la marche légère
Et de longues jambes de faon,
J'aimais déjà les étrangères
Quand j'étais un petit enfant !
Celle-ci parla vite vite
De l'odeur des magnolias,
Sa robe tomba tout de suite
Quand ma hâte la délia.
En ce temps-là, j'étais crédule
Un mot m'était promission,
Et je prenais les campanules
Pour des fleurs de la passion
À chaque fois tout recommence
Toute musique me saisit,
Et la plus banale romance
M'est éternelle poésie
Nous avions joué de notre âme
Un long jour, une courte nuit,
Puis au matin : "Bonsoir madame"
L'amour s'achève avec la pluie.
Louis Aragon
Migrant Mother, 1936
Lai du chèvrefeuille
...
D'eux deux il en était ainsi
Comme du chèvrefeuille était
Qui au coudrier se prenait
Quand il était enlacé et pris
Et tout autour le fut s'est mis
Ensemble peuvent bien durer
Qui les veut après désunir
fait tôt le coudrier mourir
Et le chèvrefeuille avec lui.
- "Belle amie, ainsi est de nous :
Ni vous sans moi, ni moi sans vous
Marie de France
Qu’est-ce donc que la poésie ?
Qu’est-ce donc que la poésie ? Je n’en sais rien en ce moment ;
mais je soutiens qu’il se trouve, dans tous les mots employés par le vrai poète,
pour les yeux un certain phosphore, pour le goût un certain nectar,
pour l’attention une ambroisie qui n’est point dans les autres mots.
Joseph Joubert
14-18 Folie meurtrière
14-18
C’était la grande guerre
Ils ont vécu l’enfer
C’était la grande guerre
La folie meurtrière
Par un beau jour d’été
Sous un ciel bleu d’azur
Le clairon a sonné
Pour la grande aventure
Ils partirent faire la guerre
Au nom de la patrie
Ils étaient jeunes et fiers
Et la fleur au fusil
Mais du chemin des dames
Au fort de Douaumont
Ils ont perdu leur âme
Sous le feu des canons
Avec la peur au ventre
Ils chantaient la Madelon
En plein mois de décembre
Quand ils montaient au front
Ils tombaient un à un
Fauchés par la mitraille
De la Marne à Verdun
Au cœur de la bataille
Partout des trous de bombes
Partout des trous d'obus
Comme la fin d'un monde
Qui leur tombait dessus
Ils ont pleuré de joie
Le jour de l’armistice
Quand enfin arriva
La fin de leur supplice
Après un grand silence
Les cloches de la paix
Dans le ciel de France
Se mirent à sonner
14-18
C’était la grande guerre
C’était la der des ders
Mais cette grande guerre
Ne fut pas la dernière
Jacques-Hubert Frougier
Selbstbildnis als Soldat
Feuille morte
Toutes les fleurs veulent se changer en fruits,
Toute matinée veut devenir soirée,
Sur terre rien n’est éternité,
Si ce n’est le mouvement, le temps qui fuit
Même le plus bel été veut voir une fois
La nature qui se fane, l’automne qui vient.
Reste tranquille, feuille, garde ton sang-froid
Lorsque le vent veut t’enlever au loin.
Poursuis tes jeux et ne te défends pas,
Laisse les choses advenir sans heurts,
Laisse enfin le vent qui te détacha
Te conduire jusqu’à ta demeure.
Herman Hesse