l'arc en ciel
Coups de cœur
Under the brown fog of a winter dawn,
A crowd flowed over London Bridge, so many,
I had not thought death had undone so many.
Sighs, short and infrequent, were exhaled,
And each man fixed his eyes before his feet.
Flowed up the hill and down King William Street,
To where Saint Mary Woolnoth kept the hours
With a dead sound on the final stroke of nine.
There I saw one I knew, and stopped him, crying "Stetson !
"You who were with me in the ships at Mylae
!
"That corpse you planted last year in your garden,
"Has it begun to sprout ? Will it bloom this year ?
"Or has the sudden frost disturbed its bed ?
"Oh keep the Dog far hence, that's friend to men,
"Or with his nails he'll dig it up again!
"You ! hypocrite lecteur ! - mon semblable, - mon frere !"
The Waste Land by T. S. Eliot
Vers le soir, les forêts d'automne retentissent
des armes de la mort, les plaines dorées,
les lacs bleus et par-dessus le soleil
encore plus sombre roule ; la nuit enserre
des guerriers mourants, la lamentation sauvage
de leurs bouches en éclat.
Mais en silence s'amoncelle au fond du pâturage
nuée rouge, là vit un dieu coléreux,
le sang est vidé, froid de lune
Toutes les routes débouchent dans la pourriture noire
Sous les rameaux d'or de la nuit et des étoiles,
Vacille l'ombre de la sœur au travers du bois muet
Pour saluer les esprits des héros, les têtes en sang
Et doucement sonnent dans les roseaux les flûtes
obscures de l'automne
Ô deuil plus fier autel d'airain
La flamme chaude de l'esprit nourrit aujourd'hui
une douleur violente,
Les descendants qui ne verront pas le jour.
Georg Trakl
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/trakl/traklgeorg.html
Quand mon cœur est léger comme un oiseau sauvage,
Il monte dans les cieux, à longs coups d'aile, fier :
Il joue avec la brise et s'accroche aux nuages;
Et son front radieux baigne dans l'azur clair,
Quand mon cœur est léger comme un oiseau sauvage.
Or, mon cœur, étant jeune, était toujours léger;
Il suivait, en chantant, les nuages qui volent;
Il désapprit la terre et ne put voyager
Que les deux poings noués a leurs crinières molles;
Car mon cœur, étant jeune, était toujours léger.
Mais maintenant mon cœur a les ailes meurtries,.
Et, trop lourd pour voler, il rampe et se début,
Il pleure vers le ciel où passent des féeries.
O nuages, mon cœur vous appelle d'en bas;
Mais mon cœur maintenant a les ailes meurtries.
Nuages, descendez, ô frères de mon cœur,
Vous qui mettez au ciel des taches de tristesse,
Des montagnes de rêve et des flots de noirceur !
Déroulez sur mon cœur vos ténèbres épaisses,
Nuages, descendez pour étouffer mon cœur!
Maurice de Noisay
Cet amour
Si violent
Si fragile
Si tendre
Si désespéré
Cet amour
Beau comme le jour
Et mauvais comme le temps
Quand le temps est mauvais
Cet amour si vrai
Cet amour si beau
Si heureux
Si joyeux
Et si dérisoire
Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
Et si sûr de lui
Comme un homme tranquille au milieu de la nuit
Cet amour qui faisait peur aux autres
Qui les faisait parler
Qui les faisait blémir
Cet amour guetté
Parce que nous le guettions
Traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Parce que nous l'avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Cet amour tout entier
Si vivant encore
Et tout ensoleillé
C'est le tien
C'est le mien
Celui qui a été
Cette chose toujours nouvelles
Et qui n'a pas changé
Aussi vraie qu'une plante
Aussi tremblante qu'un oiseau
Aussi chaude aussi vivante que l'été
Nous pouvons tous les deux
Aller et revenir
Nous pouvons oublier
Et puis nous rendormir
Nous réveiller souffrir vieillir
Nous endormir encore
Rêver à la mort
Nous éveiller sourire et rire
Et rajeunir
Notre amour reste là
Têtu comme une bourrique
Vivant comme le désir
Cruel comme la mémoire
Bête comme les regrets
Tendre comme le souvenir
Froid comme le marbre
Beau comme le jour
Fragile comme un enfant
Il nous regarde en souriant
Et il nous parle sans rien dire
Et moi j'écoute en tremblant
Et je crie
Je crie pour toi
Je crie pour moi
Je te supplie
Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s'aiment
Et qui se sont aimés
Oui je lui crie
Pour toi pour moi et pour tous les autres
Que je ne connais pas
Reste là
Là où tu es
Là où tu étais autrefois
Reste là
Ne bouge pas
Ne t'en va pas
Nous qui sommes aimés
Nous t'avons oublié
Toi ne nous oublie pas
Nous n'avions que toi sur la terre
Ne nous laisse pas devenir froids
Beaucoup plus loin toujours
Et n'importe où
Donne-nous signe de vie
Beaucoup plus tard au coin d'un bois
Dans la forêt de la mémoire
Surgis soudain
Tends-nous la main
Et sauve-nous.
Jacques Prévert
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant :
Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle.
Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille resveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.
Je seray sous la terre et fantaume sans os :
Par les ombres myrteux je prendray mon repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie.
Ronsard.
Dans mon chagrin, rien n’est en mouvement
J’attends, personne ne viendra
Ni de jour, ni de nuit
Ni jamais plus de ce qui fut moi-même
Mes yeux se sont séparés de tes yeux
Ils perdent leur confiance, ils perdent leur lumière
Ma bouche s’est séparée de ta bouche
Ma bouche s’est séparée du plaisir
Et du sens de l’amour, et du sens de la vie
Mes mains se sont séparées de tes mains
Mes mains laissent tout échapper
Mes pieds se sont séparés de tes pieds
Ils n’avanceront plus, il n’y a plus de route
Ils ne connaîtront plus mon poids, ni le repos
Il m’est donné de voir ma vie finir
Avec la tienne
Ma vie en ton pouvoir
Que j’ai crue infinie
Et l’avenir mon seul espoir c’est mon tombeau
Pareil au tien, cerné d’un monde indifférent
J’étais si près de toi que j’ai froid près des autres.
Paul Eluard
Sah ein Knab' ein Röslein stehn,
Röslein auf der Heiden,
War so jung und morgenschön,
Lief er schnell, es nah zu sehn,
Sah's mit vielen Freuden.
Röslein, Röslein, Röslein rot,
Röslein auf der Heiden.
Knabe sprach: Ich breche dich,
Röslein auf der Heiden!
Röslein sprach: Ich steche dich,
Daß du ewig denkst an mich,
Und ich will's nicht leiden.
Röslein, Röslein, Röslein rot,
Röslein auf der Heiden.
Und der wilde Knabe brach
's Röslein auf der Heiden;
Röslein wehrte sich und stach,
Half ihm doch kein Weh und Ach,
Mußt es eben leiden.
Röslein, Röslein, Röslein rot,
Röslein auf der Heiden.
Un petit garçon vit une rose se dresser,
Petite Rose sur la lande,
Elle était si jeune et belle comme le matin,
Il courut pour la voir de plus près,
Et la vit avec beaucoup de bonheur.
Petite Rose, petite rose, petite rose rouge,
Petite rose sur la lande.
Le garçon dit : je vais te briser,
Petite rose sur la lande !
La petite rose dit : je vais te piquer,
Pour que tu penses à moi éternellement,
Et je ne le souffrirai pas,
Petite Rose, petite rose, petite rose rouge,
Petite rose sur la lande.
Et le sauvage garçon brisa
La petite rose sur la lande;
La petite rose se défendit et piqua;
Mais aucun cri, aucun gémissement ne l'aida,
Elle dût le subir.
Petite Rose, petite rose, petite rose rouge,
Petite rose sur la lande.
Goethe
Quand la sueur de l'Indien se trouva brusquement tarie par le soleil
Quand la frénésie de l'or draina au marché la dernière goutte de sang indien
De sorte qu'il ne resta plus un seul Indien aux alentours des mines d'or
On se tourna vers le fleuve musculaire de l'Afrique
Pour assurer la relève du désespoir
Alors commença la ruée vers l'inépuisable
Trésorerie de la chair noire
Alors commença la bousculade échevelée
Vers le rayonnant midi du corps noir
Et toute la terre retentit du vacarme des pioches
Dans l'épaisseur du minerai noir
Et tout juste si des chimistes ne pensèrent
Au moyen d'obtenir quelque alliage précieux
Avec le métal noir tout juste si des dames ne
Rêvèrent d'une batterie de cuisine
En nègre du Sénégal d'un service à thé
En massif négrillon des Antilles
Tout juste si quelque curé
Ne promit à sa paroisse
Une cloche coulée dans la sonorité du sang noir
Ou encore si un brave Père Noël ne songea
Pour sa visite annuelle
A des petits soldats de plomb noir
Ou si quelque vaillant capitaine
Ne tailla son épée dans l'ébène minéral
Toute la terre retentit de la secousse des foreuses
Dans les entrailles de ma race
Dans le gisement musculaire de l'homme noir
Voilà de nombreux siècles que dure l'extraction
Des merveilles de cette race
O couches métalliques de mon peuple
Minerai inépuisable de rosée humaine
Combien de pirates ont exploré de leurs armes
Les profondeurs obscures de ta chair
Combien de flibustiers se sont frayé leur chemin
A travers la riche végétation des clartés de ton corps
Jonchant tes années de tiges mortes
Et de flaques de larmes
Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné
Comme une terre en labours
Peuple défriché pour l'enrichissement
Des grandes foires du monde
Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle
Nul n'osera plus couler des canons et des pièces d'or
Dans le noir métal de ta colère en crues.
René Depestre
Toi qui as vu en pleine nuit
Se lever loin bien loin d'ici
Sur le chemin de l'horizon
Lorsque la mer est en repos
Que rien ne trouble le tempo
Qu'elle a donné à sa chanson
Toi qui as vu couleur de sang
Comme un charbon incandescent
Monter une lueur subite
Ayant la forme d'un bateau
Ou bien peut-être d'un tombeau
Comment savoir ça s'est passé si vite
Calixte Duguay