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Coups de cœur
L’héautontimorouménos
A J.G.F.
Je te frapperai sans colère
Et sans haine, comme un boucher,
Comme Moïse le rocher !
Et je ferai de ta paupière,
Pour abreuver mon Sahara,
Jaillir les eaux de la souffrance.
Mon désir gonflé d’espérance
Sur tes pleurs salés nagera
Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon cœur qu’ils soûleront
Tes chers sanglots retentiront
Comme un tambour qui bat la charge !
Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord ?
Elle est dans ma voix, la criarde !
C’est tout mon sang, ce poison noir !
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde.
Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau !
Je suis de mon cœur le vampire,
– Un de ces grands abandonnés
Au rire éternel condamnés,
Et qui ne peuvent plus sourire !
Charles Baudelaire
elle me sortait d’un monde
(…) elle me sortait d’un monde où je n’avais pas vécu pour me lancer dans un monde où je ne vivais pas encore; les lèvres entrouvrirent les miennes, mouillèrent mes dents. La langue trop charnue m’effraya : le sexe étrange n’entra pas. J’attendais absente et recueillie. Les lèvres se promenèrent sur mes lèvres. Mon cœur battait trop haut et je voulais retenir ce scellé de douceur, ce frôlement neuf. Isabelle m’embrasse, me disais-je. Elle traçait un cercle autour de ma bouche, elle encerclait le trouble, elle mettait un baiser frais dans chaque coin, elle déposait 2 notes piquées, elle revenait, elle hivernait. Mes yeux étaient gros d’étonnement sous mes paupières, la rumeur des coquillages trop vaste. Isabelle continua : nous descendions nœud après nœud dans une nuit au-delà de la nuit du collège, au delà de la nuit de la ville, au delà de la nuit du dépôt des tramways. Elle avait fait son miel sur mes lèvres, les sphinx se rendormaient.
Violette Leduc, La bâtarde.
Maîtrise-toi
"Maîtrise-toi, alors les autres te supporteront"
Rabaisse ta vanité
Tu es un chien battu sous la grêle,
Une pie gonflée dans un soleil changeant,
Moitié noire moitié blanche
Et tu ne reconnais pas l'aile de la queue
Rabaisse ta vanité
Que mesquines sont tes haines
Nourries dans l'erreur,
Rabaisse ta vanité,
Prompt à détruire, sordide dans la charité,
Rabaisse ta vanité,
Je dis rabaisse-la.
Ezra Pound
Gebt mir meinen Jesum wieder
aria 'Gebt mir meinem Jesum wieder!' extrait de la Passion selon saint Matthieu
Ô lumineux matin
Ô lumineux matin, jeunesse des journées,
Matin d’or, bourdonnant et vif comme un frelon,
Qui piques chaudement la nature, étonnée
De te revoir après un temps de nuit si long.
Matin, fête de l’herbe et des bonnes rosées,
Rire du vent agile, œil du jour curieux,
Qui regardes les fleurs, par la nuit reposées
Dans les buissons luisants s’ouvrir comme des yeux.
Heure de bel espoir qui s’ébat dans l’air vierge
Emmêlant les vapeurs, les souffles, les rayons
Où les coteaux herbeux, d’où l’aube blanche émerge,
Sous les trèfles touffus font chanter leurs grillons.
Belle heure, où tout mouillé d’avoir bu l’eau vivante,
Le frissonnant soleil que la mer a baigné
Éveille brusquement dans les branches mouvantes
Le piaillement joyeux des oiseaux matiniers,
Instant salubre et clair, ô fraîche renaissance,
Gai divertissement des guêpes sur le thym,
— Tu écartes la mort, les ombres, le silence,
L’orage, la fatigue et la peur, cher matin…
Anna de Noailles
Le poète habite deux mondes
Le poète habite deux mondes, l'un qui se meurt, l'autre qui se bat pour naître.
Virginia Woolf
Un temps pour maintenant
Un temps pour applaudir, un temps pour pleurer,
Un temps pour vivre, un temps pour mourir,
Un temps pour dormir, un temps pour se réveiller,
Un temps pour le vrai, un temps pour le faux,
Un temps pour la vérité, un temps pour mentir,
Un temps pour rire, un temps pour soupirer,
Un temps pour se lever, un temps pour tomber,
Un temps pour un, un temps pour tous,
Un temps pour l'amour, un temps pour la haine,
Un temps pour courir, un temps pour attendre,
Un temps pour rester, un temps pour fuir,
Un temps pour toi, un temps pour moi.
Arik Fletcher
Parade
Ballade
Femme souvent varie ;
Est bien fol qui s’y fie.
FRANÇOIS 1er.
Cher ange, vous êtes belle
À faire rêver d’amour,
Pour une seule étincelle
De votre vive prunelle,
Le poète tout un jour.
Air naïf de jeune fille,
Front uni, veines d’azur,
Douce haleine de vanille,
Bouche rosée où scintille
Sur l’ivoire un rire pur,
Pied svelte et cambré, main blanche,
Soyeuses boucles de jais,
Col de cygne qui se penche,
Flexible comme la branche
Qu’au soir caresse un vent frais,
Vous avez, sur ma parole,
Tout ce qu’il faut pour charmer ;
Mais votre âme est si frivole,
Mais votre tête est si folle,
Que l’on n’ose vous aimer.
Théophile Gautier