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Coups de cœur
Poème d'amour
J’ai travesti, pour te complaire,
Ma véhémence et mon émoi
En un cœur lent et sans colère.
Mais ce qui m’importe le plus
Depuis l’instant où tu m’as plu,
C’est d’être un jour lasse de toi !
— Je perds mon appui et mon aide,
Tant tu me hantes et m’obsèdes
Et me deviens essentiel !
Je ne vois la vie et le ciel
Qu’à travers le vitrail léger
Qu’est ton nuage passager.
— Je souffre, et mon esprit me blâme,
Je hais ce harassant désir !
Car il est naturel à l’âme
De vivre seule et d’en jouir…
Anna de Noailles
Ma nuit est comme un grand cœur qui bat
Il est trois heures trente du matin.
Ma nuit est sans lune.
Ma nuit a de grands yeux qui regardent fixement une lumière grise filtrer par les fenêtres.
Ma nuit pleure et l’oreiller devient humide et froid.
Ma nuit est longue et longue et longue et semble toujours s’étirer vers une fin incertaine.
Ma nuit me précipite dans ton absence.
Je te cherche, je cherche ton corps immense à côté de moi, ton souffle, ton odeur.
Ma nuit me répond : vide ; ma nuit me donne froid et solitude.
Je cherche un point de contact : ta peau. Où es-tu ? Où es-tu ?
Je me tourne dans tous les sens, l’oreiller humide, ma joue s’y colle, mes cheveux mouillés contre mes tempes.
Ce n’est pas possible que tu ne sois pas là.
Ma tête erre, mes pensées vont, viennent et s’écrasent, mon corps ne peut pas comprendre.
Mon corps te voudrait.
Mon corps, cet aléa mutilé, voudrait un moment s’oublier dans ta chaleur, mon corps appelle quelques heures de sérénité.
Ma nuit est un cœur en serpillière.
Ma nuit sait que j’aimerais te regarder, chaque courbe de ton corps, reconnaître ton visage et le caresser.
Ma nuit m’étouffe du manque de toi.
Ma nuit palpite d’amour, celui que j’essaie d’endiguer mais qui palpite dans la pénombre, dans chacune de mes fibres.
Ma nuit voudrait bien t’appeler mais elle n’a pas de voix.
Elle voudrait t’appeler pourtant et te trouver et se serrer contre toi un moment et oublier ce temps qui massacre.
Mon corps ne peut pas comprendre.
Il a autant besoin de toi que moi, peut-être qu’après tout lui et moi ne formons qu’un.
Mon corps a besoin de toi, souvent tu m’as presque guérie.
Ma nuit se creuse jusqu’à ne plus sentir la chair et le sentiment devient plus fort, plus aigu, dénué de la substance matérielle.
Ma nuit me brûle d’amour.
Il est quatre heures du matin.
Ma nuit m’épuise.
Elle sait bien que tu me manques et toute son obscurité ne suffit pas pour cacher cette évidence.
Cette évidence brille comme une lame dans le noir.
Ma nuit voudrait avoir des ailes qui voleraient jusqu’à toi, t’envelopperaient dans ton sommeil et te ramèneraient à moi.
Dans ton sommeil, tu me sentirais près de toi et tes bras m’enlaceraient sans que tu te réveilles.
Ma nuit ne porte pas conseil.
Ma nuit pense à toi, rêve éveillé.
Ma nuit s’attriste et s’égare.
Ma nuit accentue ma solitude, toutes mes solitudes.
Son silence n’entend que mes voix intérieures.
Ma nuit est longue et longue et longue.
Ma nuit aurait peur que le jour n’apparaisse jamais plus mais à la fois ma nuit craint son apparition, parce que le jour est un jour artificiel où chaque heure compte double et sans toi n’est plus vraiment vécue.
Ma nuit se demande si mon jour ne ressemble pas à ma nuit. Ce qui expliquerait pourquoi je redoute le jour aussi.
Ma nuit a envie de m’habiller et de me pousser dehors pour aller cherche mon homme.
Mais ma nuit sait que ce que l’on nomme folie, de tout ordre, sème-désordre, est interdit.
Ma nuit se demande ce qui n’est pas interdit.
Il n’est pas interdit de faire corps avec elle, ça, elle le sait. Mais elle s’offusque de voir une chair faire corps avec elle au fil de la désespérance. Une chair n’est pas faite pour épouser le néant.
Ma nuit t’aime de toute sa profondeur, et de ma profondeur elle résonne aussi.
Ma nuit se nourrit d’échos imaginaires. Elle, elle le peut. Moi. j’échoue.
Ma nuit m’observe. Son regard est lisse et se coule dans chaque chose.
Ma nuit voudrait que tu sois là pour se couler en toi aussi avec tendresse.
Ma nuit t’espère. Mon corps t’attend.
Ma nuit voudrait que tu reposes au creux de mon épaule et que je me repose au creux de la tienne.
Ma nuit voudrait être voyeur de ta jouissance et de la mienne, te voir et me voir trembler de plaisir.
Ma nuit voudrait voir nos regards et avoir nos regards chargés de désir.
Ma nuit voudrait tenir entre ses mains chaque spasme.
Ma nuit se ferait douce.
Ma nuit gémit en silence sa solitude au souvenir de toi.
Ma nuit est longue et longue et longue.
Elle perd la tête mais ne peut éloigner ton image de moi, ne peut engloutir mon désir.
Elle se meurt de ne pas te savoir là et me tue.
Ma nuit te cherche sans cesse.
Mon corps ne parvient pas à concevoir que quelques rues ou une quelconque géographie nous séparent.
Mon corps devient flou de douleur de ne pouvoir reconnaître au milieu de ma nuit ta silhouette ou ton ombre.
Mon corps voudrait t’embrasser dans ton sommeil.
Mon corps voudrait en pleine nuit dormir et dans ces ténèbres être réveillé parce que tu l’embrasserais.
Ma nuit ne connaît pas de rêve plus beau que celui-là.
Ma nuit hurle et déchire ses voiles, ma nuit se cogne à son propre silence, mais ton corps reste introuvable. Tu me manques tant. Et tes mots. Et ta couleur.
Le jour va bientôt se lever.
Frida Kahlo, Lettre à Diego Rivera (12 septembre 1939)
À la douleur
Qui peut te fuir une fois saisi par toi,
Quand tu le fixes de ton regard ténébreux ?
Je ne m’enfuirai pas quand tu m’auras saisie.
Je ne croirai jamais que tu ne fais que détruire.
Je le sais, toute vie est par toi traversée.
Rien n’existe ici-bas qu’un jour tu ne le touches.
La vie sans toi, certes, elle serait belle,
Mais toi aussi, douleur, mérites qu’on te vive.
Non, tu n’es pas un fantôme de la nuit,
Tu viens rappeler à l’âme qu’elle est forte,
C’est le combat qui a rendu grands les plus grands,
— Le combat vers un but, par de durs chemins.
Si donc, douleur, au lieu de bonheur et de plaisir
Tu peux me donner l’Unique, la vraie grandeur,
Alors, viens et laisse-nous lutter corps à corps,
Oui, viens, notre lutte fût-elle mortelle.
Pénètre au plus profond de mon cœur
Et creuse au plus profond de ma vie,
Ôte-moi le rêve de l’illusion et du bonheur,
Ôte-moi tout ce qui ne valait pas les aspirations infinies.
Tu ne remportes pas sur l’homme la dernière victoire,
Même s’il offre sa poitrine à tes coups,
Même s’il tombe mortellement blessé —
— Tu es le socle où repose la grandeur de l’esprit.
Lou Andreas-Salomé
Deux jeunes métisses en costume espagnol traditionnel aux Philippines
La Solitude des femmes
As-tu peur ? Te voici seule avec le silence...
Aucun souffle... aucun pas... nulle voix et nul bruit...
Seule comme une fleur que nul vent ne balance,
Seule avec ton parfum et ton rêve et la nuit.
As-tu peur ? Te voici seule avec la ténèbre,
Seule comme une morte au fond de son tombeau ;
Tout est pesant et noir, taciturne et funèbre
Malgré l’amour si proche et le bonheur si beau.
As-tu peur ? Te voici toute seule avec l’ombre,
Seule comme une étoile au moment du matin ;
Comme un papillon d’or au fond d’un jardin sombre
Se meurt en palpitant pour son soleil lointain...
Te voici toute seule avec ton cœur sauvage
Qui se débat et bat son humane prison,
Seule avec ce tourment qui rôde et te ravage,
Perpétuel orage autour de ta raison.
Te voici seule, ô belle, ô douce, à jamais seule ;
Et malgré ta jeunesse et tes yeux triomphants,
Oui, déjà seule ainsi qu’une très vieille aïeule
Qui aurait vu partir tous ses petits-enfants
Seule, ô force d’amour, ô vivante, ô féconde,
Car rien n’apaisera ta soif de l’éternel,
Car ton plus rauque cri de volupté profonde,
Ce cri désespéré, n’est encore qu’un appel.
L’homme ne comprend pas ton étrange détresse ;
L’élan de ta douleur toujours se brise en vain...
Et, femelle en qui souffre une grande déesse,
Tu rêves au réveil qui te sera divin.
Marie de Heredia
Sortes de guérisseurs
Sortes de guérisseurs à leur façon, les poètes voient en la nature
le remède ultime aux cœurs brisés et aux poumons meurtris.
Herman Melville
Je Suis comme Je Suis
Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Quand j’ai envie de rire
Oui je ris aux éclats
J’aime celui qui m’aime
Est-ce ma faute à moi
Si ce n’est pas le même
Que j’aime chaque fois
Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Que voulez-vous de plus
Que voulez-vous de moi
Je suis faite pour plaire
Et n’y puis rien changer
Mes talons sont trop hauts
Ma taille trop cambrée
Mes seins beaucoup trop durs
Et mes yeux trop cernés
Et puis après
Qu’est-ce que ça peut vous faire
Je suis comme je suis
Je plais à qui je plais
Qu’est-ce que ça peut vous faire
Ce qui m’est arrivé
Oui j’ai aimé quelqu’un
Oui quelqu’un m’a aimée
Comme les enfants qui s’aiment
Simplement savent aimer
Aimer aimer…
Pourquoi me questionner
Je suis là pour vous plaire
Et n’y puis rien changer.
Jacques Prévert
African-American Man on Horse NYC
L'enterrement
Je ne sais rien de gai comme un enterrement !
Le fossoyeur qui chante et sa pioche qui brille,
La cloche, au loin, dans l'air, lançant son svelte trille,
Le prêtre, en blanc surplis, qui prie allégrement,
L'enfant de chœur avec sa voix fraîche de fille,
Et quand, au fond du trou, bien chaud, douillettement,
S'installe le cercueil, le mol éboulement,
De la terre, édredon du défunt, heureux drille.
Tout cela me paraît charmant, en vérité !
Et puis, tout rondelets sous leur frac écourté,
Les croque-morts au nez rougi par les pourboires,
Et puis les beaux discours concis, mais pleins de sens,
Et puis, cœurs élargis, fronts où flotte une gloire,
Les héritiers resplendissants !
Paul Verlaine