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Coups de cœur
Les hirondelles
Les noires hirondelles reviendront
Suspendre à ta fenêtre leurs doux nids
Et de nouveau, de l’aile, dans leurs jeux,
Frapperont à ta vitre.
Mais celles qui volaient plus doucement
Pour mieux voir ta beauté et mon bonheur,
Celles qui surent ton nom et le mien,
Non, ne reviendront plus.
Le chèvrefeuille en touffes reviendra
Escalader les murs de ton jardin
Et de nouveau, le soir, encor plus belles,
Les fleurs en écloront.
Mais celles dont nous regardions les gouttes
De la rosée qui les comblait trembler
Et s’écouler comme larmes du jour,
Non, ne reviendront plus.
Les accents de l’amour, à tes oreilles,
Reviendront faire leur ardent murmure ;
De son profond sommeil ton cœur peut-être,
Ton cœur s’éveillera.
Mais, en suspens, muet, agenouillé,
Comme on adore Dieu devant l’autel,
Comme je t’ai aimée, détrompe-toi,
On ne t’aimera plus.
Gustavo Adolfo Béquer
Traduit par Mathilde Pomès.
Je voudrais juste comprendre
- Je voudrais juste comprendre pourquoi il a suffi qu'un amour de jeunesse mette une annonce dans le journal pour que tu perdes la tête !
- Je voudrais comprendre moi aussi. C'est peut-être pour ça que je suis là.
- Tu pensais souvent à cet homme ?
- Oui. souvent.
- Quand par exemple ?
- Quand je me suis mariée. Quand mes filles sont nées. Quand elles ont eu 15 ans. Quand ça sent la résine de pin l'été, le chocolat chaud, la sueur, la cannelle, quand j'entends Mike Brant, Johnny Hallyday, les cigales ou Chopin, quand je vois des films italiens, des adolescents amoureux, des vélos, des cariatides, des bateaux, quand je m'endors au soleil, quand je ris devant la glace, quand je danse toute seule. Quand je suis bien. Quand la vie est tout près.
Véronique Olmi, Le premier amour
La fleur rouge
A la place du ciel
Je mettrai son visage
Les oiseaux ne seront
Même pas étonnés
Et le jour se levant
Très haut dans ses prunelles
On dira: "le printemps
Est plus tôt cette année?"
Beaux yeux, belle saison
Viviers de lampes claires
Jardins qui reculez
Sans cesse l'horizon
On fait déjà les foins
Le long de ses paupières
Les animaux peureux
Viennent à la maison
Je n'ai jamais reçu
Tant d'amis à ma table
Il en vient chaque jour
De nouvelles étables
L'un apporte sa faim
Un autre la douleur
Nous partageons le peu
Qui reste tous en chœur
Qu'un enfant attardé
Passe la porte ouverte
Et devinant la joie
Demande à me parler
Pour le mener vers moi
Deux mains se sont offertes
Si bien qu'il a déjà
Plus qu'il ne désirait
La chambre est encombrée
De rivières sauvages
Dans le foyer s'envole
Une épaisse forêt
Et la route qui tient
En laisse les villages
Traîne sa meute d'or
Jusque sous les volets
Tous mes fruits merveilleux
Tintent sur mon épaule
Son sang est sur ma bouche
Une flûte enchantée
Je lui donne le nom
De ma première enfance
De la première fleur
Et du premier été
René Guy Cadou
The Tetons and the Snake River
J’ai toujours ton cœur avec moi
J’ai toujours ton cœur avec moi
Je le garde dans mon cœur
Sans lui jamais je ne suis
Là ou je vais, tu vas…
Et tout ce que je fais par moi-même est ton fait…
Je ne crains pas le destin
Car tu es à jamais le mien
Je ne veux pas d’autre monde, car
Tu es mon monde, mon vrai…
Tu es tout ce que la lune a toujours voulu dire
Et tout ce que le soleil chantera
C’est le secret profond que nul ne connaît
C’est la racine de la racine
Le bourgeon du bourgeon
Et le ciel du ciel d’un arbre appelé vie
Qui croît plus haut que l’âme ne saurait l’espérer
Ou l’esprit le cacher…
C’est la merveille qui maintient les étoiles éparses.
Je garde ton cœur
Je l’ai dans mon cœur.
E.E. Cummings
Cuir A-nall
Sonnet des gestes des Dames
S'habiller bravement, s'ombrer de fards menteurs,
D'un mauvais mot nous feindre une éloquence,
Apprendre à bégayer, n'aller qu'à révérence,
Et n'être aucunement sans servants serviteurs,
Recevoir le poulet, le plumer par humeurs,
Porter un éventail qui sert de contenance,
Avoir plus d'appareil que de vraie contenance,
Et hiéroglyphiquer en bizarres couleurs,
Naviguer à tous vents, adorer la fortune,
Faire bien les yeux doux, faire toujours la jeune,
Babiller, brocarder, médire nuit et jour,
Se mirer à toute heure haussant la chevelure,
Mettre en parlant d'amour des pièces sans couture,
Ce sont les actions des Dames de la Cour.
Marc de Papillon de Lasphrise
Le premier soir que j'osai lui adresser la parole
Le premier soir que j'osai lui adresser la parole, j'étais déjà un peu gris, et, parce qu'elle me répondait avec douceur, j'éprouvai une joie unique, une joie ! comme si tout le regret de ma vie était effacé. Nous restâmes longtemps, assis sur les tabourets, dans ce coin de bar où ne nous dérangeait pas la présence des autres. Je ne saurais dire de quoi nous parlions, mais je me rappelle que j'avais frôlé sa main, que sa jupe s'ouvrait, à gauche, sur sa jambe nue dans un bas à jour, qu'elle avait glissé dans son corsage un sachet dont ses amants respiraient l'odeur sur sa poitrine. Ainsi, elle était plus loin de moi qu'une impératrice, et, avant qu'elle recommençât son va-et-vient dans la rue, je goûtais, le prolongeant avec fièvre, la faveur inestimable de cet inutile entretien.
Robert de La Vaissière , Fille
Pendant la nuit le cœur s’alourdit
Pendant la nuit le cœur s’alourdit,
Déloge le rêve.
Les portes sont fermées.
Tu ne peux pas revenir même en songe
Dans ce qui fut ta joie.
L’abîme se creuse à tout moment,
C’est la règle.
Tu ne reposes nulle part, tu ne dormiras pas.
Qu’ils ignorent ton vrai visage, les enfants,
Laisse-les grandir pour la peine.
En attendant la prochaine rafale, va gagner ton pain,
Lève-toi,
Cède à la vie suppliante.
Louise Bouchard